Lettre LXVII, de Monsieur au Roi.

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Mon frère,

Je ne puis plus supporter cette mascarade. Toi tentant de nous convaincre moi et ma cousine à ce mariage par des apartés dont chacun ignore ce que l'autre a pu entendre comme argument et surtout y répondre. Tu as toujours aimé procéder ainsi, pensant obtenir de meilleurs résultats en parlant seul à seul avec la personne concernée. Mais cela a-t-il eu le moindre effet positif avec Minette et moi ? Aucun, tu en conviendras avec moi.

Anne-Marie-Louise, m'a-t-on dit est entichée de Lauzun et ce serait la raison à ses refus de s'engager avec ma personne ? Si tel est le cas et que, comme l'on me l'a rapporté, Lauzun chuchote au creux de son oreille dès que nous avons le dos tourné alors aucune négociation n'aboutira à quoi que ce soit. Tu connais aussi bien que moi le caractère buté de notre cousine et celui sournois du comte.

Je ne vois qu'une seule solution. Confrontons Anne-Marie-Louise, tous les deux. Mettons cartes sur table, révélons-lui ce que nous savons de Lauzun et de ses manœuvres, et donnons-lui précisément tous les tenants et aboutissants de l'affaire. Anne-Marie-Louise est amoureuse, il est vrai, et toute personne amoureuse en oublie la raison, mais peut-être qu'à nous deux nous parviendrons à lui rendre un peu de ce sang-froid qu'elle a perdu, de cette volonté si forte qui fut la sienne.

Et si ce n'est le cas, nous pourrons nous dire que nous avons tout essayé ! Nous ne pouvons l'y obliger et j'ose espérer qu'elle se rendra compte par elle-même de son erreur de jugement. Mais je ne veux pas d'une femme qui m'épouserait sous la contrainte et me haïrait pour cela, tu ne veux cela toi non plus. D'ailleurs, mieux vaut éviter avec elle un conflit ouvert, je ne sais pas pour toi, mais je n'ai aucune envie de lui prêter le flanc à ses tirs de canon.

Je suis désolé, mon frère, de m'être opposé en premier lieu à ta volonté, d'avoir rechigné à ce mariage, si je n'avais écouté les complaintes de notre cousine, nous n'en serions peut-être pas là à cet instant. Je ne savais pour les manœuvres de Lauzun, cependant, j'aurais dû comprendre que si Anne-Marie-Louise s'y opposait si fermement, elle qui voulait à tout prix nous épouser quand nous étions enfants, c'est qu'il y avait une tierce personne dont j'ignorais la présence.

Quoi qu'il en soit, je te propose que nous la confrontions ensemble et convenions de ne point nous ridiculiser en insistant si elle continue de refuser. Athénaïs m'a parlé du comportement de Lauzun ces derniers temps, de ses éclats, de ses caprices. S'il poursuit sur cette voie, il finira fatalement par se trahir devant notre cousine, de telle sorte que nous n'aurons à faire quoi que ce soit pour révéler ses agissements.

15 novembre 1670, Saint Cloud.

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