Lettre LXXVI, du Chevalier à Monsieur.

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Mon amour, est-ce qu'il fait vraiment si moche que cela en France ? Ici tout est d'une beauté à couper le souffle. Les terribles chaleurs de l'été tendent à disparaître et une brise légère vient rafraichir l'Italie. Tu verrais les vignes gorgées de soleil et le raisin prêt à être cueilli, écrasé, macéré et enfin mis en bouteille. J'ai parcouru la région des Grands Lacs et à présent je m'attarde du côté des vignobles avant de gagner Milan. L'on dit que c'est la cité des textiles et j'ai une garde-robe à refaire, je ne veux pas que tu me voies débarquer avec de vieilles nippes sur le dos !

Ta lettre était des plus déprimantes, me confirmant le fait qu'il me faut revenir au plus vite pour te rendre ton joli sourire et chasser ces sombres nuages de ton esprit, mon tendre amour. Où sont donc passés ta joie de vivre, tes sarcasmes qui m'ont toujours amusé sauf quand ils me ciblaient évidemment ? Où est passé ton cynisme à toute épreuve qui te faisait porter sur les scènes les plus drôles comme les tragédies le même regard désabusé ?

Je connais ta tendance à te laisser happer par la tristesse, à tout voir en noir... Normalement ces mornes pensées je les chasse d'un geste ou d'une caresse. Ne pouvant te toucher, je vais devoir te conter mes aventures grotesques, c'est cela ? Très bien, si tu insistes je le ferai, je te parlerai de cet âne qui a osé me jeter à terre et dans la boue qui plus est ! Tu aurais été là, tu aurais éclaté de rire, et me sortirais l'histoire encore et encore. Au fond, j'ai de la chance d'avoir été seul à cet instant ! Bon je crois bien que l'âne n'aurait agi ainsi si j'avais été accompagné de son paysan de propriétaire, mais j'ai joué les audacieux !

Ce qui me fait dire qu'il va falloir que j'aille chasser pour me remettre en selle. J'ai passé bien trop de temps dans des palais à la beauté stupéfiante, en des soirées où le vin coulait à flots, si bien que j'ai délaissé l'équitation ce qui risque fort de me faire défaut lorsque nous partirons en campagne ! Vois donc quel inconscient je fais !

Si tu n'as même pas été un peu amusé, je ne saurais comment te rendre le sourire, mais je peux t'ordonner de garder espoir.

Louis ne nous abandonnera pas, je t'en prie, ne laisse pas les doutes te submerger ! Il t'a promis que nous partirions en guerre tous ensemble, et il ne trahira cette promesse-là. À trop te la répéter, il l'a encré en toi si bien que s'il la trahit, je crois bien que tu ne lui pardonneras jamais et il le sait. Comme je sais qu'au fond, ton frère ne veut que ton bien. Il ne s'est jamais opposé à notre relation par le passé, il ne t'a jamais empêché de paraître en robe coiffé et maquillé comme une dame, il t'invite même à son conseil de guerre, envisage de faire de toi un général de son armée. Ne doute pas de la confiance qu'il a en toi ni de son amour.

Nous savons fort bien ce qui s'oppose à notre retour. Bien sûr, Charles II n'en sera pas heureux, et c'est pour cela qu'il nous faut attendre un délai raisonnable et que Louis ne me fera pas revenir avant le début de la campagne. Et puis, ta fiancée doit apprendre à te connaître et accepter qui tu es, qui tu aimes.

Peut-être que nous pourrions l'y aider ? Écris-lui ! Comme tu as su amadouer ton beau-frère anglais, tu parviendras, j'en suis sûr, à conquérir le cœur de cette Autrichienne. Pardon, Bavaroise ? Qu'importe de cette Allemande ! J'ai entendu dire qu'ils aimaient la franchise et se méfiaient nos manières trop alambiquées à leurs yeux, alors parle-lui sans détour et j'en ferai de même. Montrons-lui que nous ne serons ses ennemis !

Rassure-la. N'oublie pas que tout sera si nouveau pour elle, pas uniquement notre situation, mais également la vie à la Cour. Elle n'aura que toi sur qui compter pour affronter toutes ses langues de vipères qui l'assassineront sur place. Sois son allié, deviens son ami ! Et si ce que j'ai entendu à son sujet est vrai, il est fort possible qu'elle soit si farouche qu'elle ne te demande même pas de te l'honorer !

Et puis, n'oublie pas que plus vite tu l'épouseras, plus vite je te reviendrais ! Ne t'enferme plus ainsi dans la tristesse, songe à l'avenir, à nos retrouvailles et veille à ce qu'elles arrivent au plus tôt comme je le fais, moi aussi, de mon côté.

À bientôt, mon amour.

17 septembre 1671, Milan.

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