Lettre LXXXVII, de Monsieur au Chevalier.

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Mon tendre amour,

Je t'ai si peu écrit ces derniers temps et je m'en excuse. J'avais un mariage à célébrer, le mien en l'occurrence. J'ai accueilli mon épouse, la nouvelle Madame, et veiller à ce que les enfants acceptent sa présence. Il y eu tant de choses à s'occuper que je n'ai pu me poser pour te conter toutes ces aventures. J'ai été très vilain envers toi, puisses-tu me pardonner.

Ce n'est guère une excuse, mais je voulais prendre le temps de faire connaissance avec Liselotte, c'est ainsi qu'elle se surnomme. Je veux m'en faire une alliée, une amie qui ne verrait ma relation avec toi comme une menace. Et pour cela, j'avais besoin de temps à ne songer qu'à nous deux. J'espère que tu comprendras. Je ne saurais dire si j'y parviendrais, mais au moins aurai-je essayé de lui expliquer à quel point tu m'es vital.

C'est une jeune femme très différente de toutes les femmes qu'on a pu connaître, toi et moi. Elle est indépendante, mais sans être farouche comme l'est ma cousine. Elle est franche et sincère comme personne d'autre ne l'est. Enfin si, tu l'es quand tu m'observes et d'un sourire déclame tout ce qui te passe par la tête. Mais vous êtes en cela très différent, je ne saurais l'expliquer, il faudrait que tu le constates par toi-même. À dire vrai, j'ai hâte que vous vous rencontriez.

En revanche, contrairement à nous deux, elle adore vivre au-dehors ! Tu la verrais galoper avec mon frère, chasser avec lui des heures durant et revenir toute crottée, les joues toutes rouges et le regard brillant. Pour être franc, je redoute qu'elle aussi préfère passer du temps avec lui plutôt qu'avec moi. Suis-je donc maudit ?

J'ai toujours su que mon frère avait un charme qui touchait toutes les femmes. La couronne qu'il porte évidemment lui donne un considérable avantage, mais il y a ce maintien naturel qui est le sien, sa posture de danseur et surtout cette timidité qui le rend d'autant plus charmant qu'elle est si bien cachée qu'on la découvre après qu'il nous ait ouvert à son intimité. Ce qui ne peut que séduire les femmes à qui il se dévoile ainsi. Et elles sont si nombreuses, en vérité.

Je ne puis en être jaloux, je n'ai jamais aimé les femmes comme mon frère le fait. J'apprécie leur compagnie, je puis être un ami qu'elles ne trouveront ni Louis ni en tous les hommes voulant goûter leurs charmes, parce que justement je n'ai nul autre intérêt que celui de leur conversation et n'attends rien de plus d'elles.

Je n'ai jamais jalousé le nombre de ses conquêtes ni l'importance de celles-ci. Simplement, le fait que mes épouses le préfèrent à moi, eussent espéré l'épouser lui plutôt que moi, est une trahison douloureuse. La nouvelle Madame ne me trahira jamais de la sorte, pas après ce que sa mère a subi, elle a une sainte horreur de la tromperie, mais inconsciemment, elle préfère déjà sa compagnie à la mienne.

L'autre jour, elle a chuté durant la chasse et mon frère a volé à son secours ! Il l'a ramenée dans ses bras comme si elle était son épouse, la princesse qu'il sauvait d'un monstre de conte de Perrault. J'ai ri de l'aventure, me suis soucié de la soigner, n'ai quitté son chevet avant qu'elle ne soit complètement remise, mais j'ai bien vu comment elle regardait mon frère et si j'avais le moindre doute, quand il est venu la visiter, j'ai entendu leurs rires se mêler et su que l'un comme l'autre s'apprécient.

Louis a toujours eu un appétit vorace avec les femmes. Crois-tu qu'il me trahira à nouveau ? J'en mourrais, tu sais. Je n'arrive pas à songer à autre chose qu'à ce regard qu'ils ont échangé, comme si je n'étais même plus dans la pièce ! Et moi qui m'inquiétais de te rendre appréciable à ses yeux à elle, qu'elle ne voit en toi une menace, qu'elle accepte ta présence ! Après sa chute de cheval et durant sa convalescence, tout ce à quoi je pensais c'est que nous allions recommencer ces incessants combats, que j'allais endurer le même enfer à nouveau !

Je n'arrive plus à m'enlever cette pensée obsédante, je n'arrive plus à voir l'espoir nouveau que je nourrissais à nos premiers échanges, je ne peux que scruter chaque instant entre elle et mon frère avec anxiété et jalousie. Mon esprit est-il empoisonné ? Ou ai-je des raisons de redouter le charme de Louis à qui rien ni personne ne résiste ? Même la fière Athénaïs a fini par lui céder ! Je crois bien que je suis perdu, que nous sommes tous perdus, maudits, que le cycle infernal n'est voué qu'à se répéter, encore et encore !

11 décembre 1671, Saint Germain

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant