Lettre XC, de Liselotte au Roi.

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Mon Roi, cher beau-frère,

Vous m'avez demandé comment cela se passait pour moi, et je dois bien vous avouer que j'apprécie vos attentions à mon égard, je craignais de perdre tout lien avec ma famille et de me retrouver isolée ici, mais j'ai trouvé en France une famille et le soutien que je n'avais même pas en mon ancienne demeure. Vous êtes très prévenant, tout comme mon époux qui s'inquiète pour moi à chaque fois que je pars à la chasse avec vous. Il faut dire que ma chute de la dernière fois l'a fortement impressionné.

En outre d'être attentionné, il est également honnête. Il ne m'a rien caché de ses préférences, pour les hommes, pour les tenues raffinées, pour les bals et le théâtre. Il sait que ces choses-là ne m'intéressent guère, mais insiste pour m'indiquer comment me vêtir, me comporter, me répétant leur importance à la Cour de France. Il a été jusqu'à convaincre votre maîtresse de m'enseigner les usages les plus subtils.

Athénaïs m'a fait peur au premier abord. Chacun l'admire secrètement, la vénère, et un tel pouvoir ne peut que susciter la crainte du caractère l'accompagnant, mais elle a été douce avec moi. Elle m'a parlé avec franchise et je crois sa promesse d'amitié. Qu'aurais-je à redouter d'elle alors qu'elle est votre maîtresse et l'amie d'enfance de mon époux ? Vous voir tous si prévenants à mon égard me trouble, car je ne suis certaine de pouvoir vous rendre la pareille.

Mon respect et la promesse de vous être toujours loyale quel que soit ce que nous réserve l'avenir suffira-t-il ? Je ne cesserai d'aimer mon pays, de respecter ma famille, je continuerai à leur parler à travers mes lettres, mais la France est désormais ma Patrie et vous ma famille. Je vous jure d'être la plus fidèle de vos sujets. Mais je serai également une amie sincère qui n'aura peur de vous parler franchement quand tous les autres préféreront vous flatter. J'espère que vous ne redoutez pas ma franchise.

Quant à mon époux, je pense qu'avec ses leçons je serai à même de tenir le rôle qui est le mien. Je redoute le spectre de la précédente Madame. À ce que j'ai entendu dire, c'était une femme pleine de grâce et de beauté que je n'ai point. Je ne puis prétendre le contraire. Je suis forte, j'ai bon appétit, je préfère le grand air et je rentre souvent les cheveux défaits, pleine de boue sur les bottes. Pour achever le tout, je n'aime les robes et trouve que mon époux les porte bien mieux que moi. J'ai tout de l'homme quand lui a tout de la femme, de son élégance, son raffinement et un goût assuré. Il aurait été plus simple pour nous que les rôles soient inversés.

Pourtant, je crois que c'est pour cela même que nous nous entendrons, lui et moi. Parce que je suis ronde et laide, je ne lui ferai de l'ombre, parce qu'il est préfère passer ses journées à l'intérieur et moi au dehors, nous ne nous marcherons sur les pieds, parce que ni l'un ni l'autre n'attend de la romance à notre mariage, nous ne serons déçus, et enfin, parce qu'il aime ma franchise et que j'admire sa tendresse, je pense que nous nous entendrons bien.

Quant à son amant, le Chevalier, vous m'avez demandé ce que j'en pensais. Je n'ai encore eu l'occasion de rencontrer cet homme, et tout ce que j'ai entendu à son sujet m'a paru très haut en couleur. Il doit avoir un sacré caractère pour qu'on parle autant de lui, si bien qu'il éveille ma curiosité. Mais en vérité, mon cher beau-frère, je crains de n'avoir mon mot à dire sur le sujet. J'ai pu constater que mon époux lui est fortement attaché et qu'il est fort malheureux de son absence.

Monsieur feint très bien en votre présence, comme en la mienne, de n'être pas si attaché à ce Chevalier. Pourtant, je perçois son regard triste courant dans le vague lorsqu'il se croit seul. Certes, s'occuper de mon éducation l'accapare, comme mon accueil en sa demeure l'a préoccupé et bientôt, il y aura la guerre pour affairer son esprit, mais cette tristesse continuera à l'habiter. Quoi que nous fassions pour l'en divertir et la lui faire oublier, il ne cessera de songer à cet homme. Et je ne souhaite pas être la cause d'une telle langueur.

Si c'est pour moi que vous retenez le Chevalier au loin, je vous prie de le laisser revenir. Il ne sera une menace pour moi, pas plus que pour vous. Après les confessions qu'il m'a faite au sujet de son premier mariage, il me semble évident qu'il ne souhaite revivre ces épreuves qu'il qualifie de terribles et douloureuses. Et puis, j'ai le sentiment qu'il n'aurait autant d'amour pour quelqu'un qui ne soit pas droit et honnête.

Je crois que le Chevalier est un aventureux grande gueule qui aime prétendre et montrer un visage qui n'est pas totalement le sien. Il doit posséder un cœur, autrement il n'aurait obtenu celui de mon époux. Ces deux hommes s'aiment encore alors qu'ils ont été tenus éloignés l'un de l'autre pendant plus d'un an. Cela est autant de preuves que leur amour est sincère et ne doit être nié.

Et puis, j'ai cru comprendre que l'éloignement du Chevalier a été le sujet des vives dissensions entre Philippe et Henriette. Ni lui ni moi ne souhaitons nous engager dans un mariage de discorde et de conflit. Aussi, mon cher beau-frère, si vous voulez notre bonheur, je vous prie de faire revenir le Chevalier à la Cour. Si vous conservez le moindre doute à son sujet, quant à son comportement, qui je crois le savoir, par le passé n'a pas toujours été à la hauteur de votre confiance, je puis vous assurer que Monsieur et moi serons vigilants et le garderons de trop intrépides actions pouvant vous causer du tort, comme à nous-mêmes.

5 février 1672, Saint Cloud

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