Lettre XXXVIII, du Chevalier à Monsieur.

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Mon cher Philippe,

Je ne sais que te dire. La mort de ton épouse n'a rien d'étonnant au fond, quand on connaissait ses soucis de santé, mais c'est tout de même un choc qui doit t'ébranler. Même si vous aviez vos différents, même si vous n'aviez jamais réussi à vous aimer, il n'en reste pas moins que c'était ton épouse et que tu as été auprès d'elle jusqu'au bout.

À te lire, j'imagine ton cœur battant à s'en rompre et le désespoir te gagner. Tu as un cœur bien trop généreux pour ton propre bien. La preuve en est, pendant que tu pleures ton épouse, que tu as accompagnée jusqu'à son dernier souffle, voici qu'on t'inflige cette nouvelle épreuve d'une autopsie et des soupçons de poisons comme si tu avais pu faire une pareille chose !

Moi, je ne dis pas. J'y ai pensé plus d'une fois, je dois bien l'avouer.

Henriette m'agaçait tant qu'il m'est arrivé de souhaiter étouffer dans sa jalousie et ses complots minables, mais je n'aurais jamais... tu le sais, n'est-ce pas ? Qu'en dépit de tout ce qu'il s'est passé, mon cœur pleure avec le tien. Je ne la pleurai pas, je ne peux mentir en prétendant l'avoir aimée, mais je peux bien avouer que je l'admirais.

Elle avait de la grâce, de l'intelligence, beaucoup de volonté et assez de malice. Je crois bien que c'est pour cela que nous ne pouvions nous supporter, nous nous ressemblions trop !

Quoi qu'il en soit, personne ne peut t'accuser de rien ! Tu es le frère du Roi ! Ne te tracasse pas, ton frère te protègera et te soutiendra comme il l'a toujours fait. Ta famille sera auprès de toi, c'est la seule chose qui me console, d'imaginer qu'ils soient là alors que je ne puis l'être. Je t'aurais pris dans mes bras, t'aurais enlacé, serré contre moi, et ne t'aurais relâché que lorsque j'aurais senti que ton cœur suffisamment apaisé.

Je t'aime Philippe, je ne cesse de songer à toi, et à ces instants difficiles que tu vis. Pardonne mes mots, mais ton épouse avait un sacré talent pour t'emmerder, et ce jusqu'au bout. Vois l'état dans lequel elle te plonge encore une fois. Même si elle souffrait le martyre, elle aurait pu se dispenser de crier à l'empoisonnement. D'autant que, tout le monde la savait malade. Tu me disais qu'elle l'était déjà à son retour. Je l'ai toujours connue souffrante et s'il y a besoin d'un quelconque témoignage en ce sens, tu sais que je peux te produire toutes les lettres dont tu auras besoin.

Quel idiot je fais à te parler ainsi, comme si l'on pouvait faire porter le moindre soupçon contre toi ! C'est imbécile, car chacun sait quel agneau tu es, quel cœur tendre tu es, qu'il n'y a rien de plus doux et de plus généreux, de plus bon et patient que toi. Ils te critiquent tous parce qu'ils aimeraient te voir plus méchant, parce qu'ils aimeraient t'opposer à ton frère, que tu sois comme Gaston, égocentrique et capricieux, dangereux et changeant, manipulateur, parce que ça les exciterait, nourrirait leurs rumeurs et leurs conversations, mais tu ne leur dois rien, c'est eux qui te doivent tout.

Rappelle-toi ce que je t'ai toujours dit, tu es le frère du Roi, peu importe ce que tu fais, dis, ils doivent te vénérer comme le Prince de France que tu es. Ta bonté, ta grâce te rendent meilleur qu'eux, ne l'oublie pas. Ton frère le sait même s'il ne te le dit pas assez. C'est pour toutes ces raisons que je ne m'en fais pas, l'orage passera comme toujours, sans que la foudre ne te frappe.

2 juillet 1670, Florence


A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant