Lettre LI, de Monsieur au Chevalier.

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Mon amour,

J'ai attendu ta lettre, impatient, le cœur battant, tremblant que tu t'offusques de ma demande si terrible. J'ai frémi à chaque coursier qui venait, à chaque laquais pénétrant mes appartements. Pourtant, je n'ai toujours rien de ta part. Ma lettre s'est-elle perdue ? J'aurais tant aimé qu'elle se soit perdue, que quelqu'un l'ait déchirée, brûlée...

Si tu savais comme je regrette de l'avoir écrite et plus encore de te l'avoir envoyée. Je ne supporterais pas que tu ne m'écrives plus jamais, que tu ne veuilles plus jamais me voir. Cela me briserait le cœur, plus profondément qu'il ne l'est déjà. Je t'en supplie, réponds-moi... dis-moi quelque chose. Sois furieux ! Tempête !

Ce silence est terrible, la pire des tortures, je t'en supplie, réponds-moi, insulte-moi, couvre-moi de reproches si c'est ce que tu ressens, mais parle-moi, écris-moi, ne me laisse pas face à ce vide et à ce silence.

Je m'excuse de ce que j'ai pu te demander, pardonne-moi mon amour, jamais je n'ai cru en ces horreurs. J'étais si accablé, si seul et si désespéré que j'ai douté un bref instant de toi et du marquis, ce qui est terrible et impardonnable, je le sais. Mais comment veux-tu que je garde l'esprit froid alors que je suis entouré d'esprits médisants et méchants ?

Les anglais continuent de réclamer ma tête, Charles II refuse toujours de répondre à mes lettres et à mes suppliques, quant à mon frère il est bien trop occupé à me trouver une nouvelle femme pour songer à soulager mes inquiétudes.

Alors j'ai eu l'esprit sombre, corrompu par ces médisants. Je me suis laissé avoir par nos ennemis, et j'en ai souffert, infiniment. Imaginer une seule seconde qu'ils puissent avoir raison m'a fait endurer milles et un tourments. Les tiens doivent être infiniment plus intenses, j'en ai bien conscience. D'autant plus que j'en suis la cause.

Je me déteste de t'avoir écrit cela, d'avoir laissé ces méchants m'atteindre, et t'atteindre à travers moi. Je m'en veux, amour, d'avoir été si faible. Je me suis senti si seul, si pauvre, si fragile. Ces dernières semaines ont été une suite d'épreuves interminables. D'abord le martyr d'Henriette ensuite les anglais réclamant ma tête, la Cour me croyant coupable, puis toi qu'on accuse, et le marquis qu'on embarque dans ces histoires de complot à dormir debout mais qui pourtant continuent de résonner en tous ces palais de marbre.

Je suis épuisé, mon amour, si épuisé de tout cela. J'ai fini par fuir la Cour, je n'ai même pas assisté aux funérailles que Louis a voulu grandioses afin d'apaiser Charles II. Henriette les méritait sans doute. Je ne voulais cependant endurer tous ces regards et les murmures les accompagnant. Plus que tout, je ne voulais entendre la moindre rumeur t'accablant.

Pardonne-moi mon amour d'avoir douté un seul instant de toi.

10 juillet 1670, Saint Cloud


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