Lettre LXXXIX, de Monsieur à Liselotte.

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Ma chère Liselotte,

Je vous abandonne quelques heures pour gagner Saint-Cloud, je me dois d'y faire quelques préparatifs avant la fête que j'y donnerai. Pardon, que nous y donnerons. Je vous apprendrai tout de l'art de recevoir dont, à ma grande fierté, j'en connais tous les secrets. C'est ce qui ravit les ambassadeurs venant jusqu'à nous, et plus encore, ce qui ravit mon frère. Je suis fier d'avoir découvert le talent de comédien et de dramaturge de Molière, d'avoir déniché tant d'artistes qui éblouissent la Cour.

Le Roi se repose beaucoup sur moi dans ce domaine. Il doit déjà se consacrer aux lois, aux finances, et de tant de choses que le soulager quelque peu ne peut qu'être bénéfique au bien-être du royaume. Et je ne dis point cela en pensant que l'art a moins d'importance, au contraire ! Le talent de Molière est tout aussi indispensable à celui-ci que celui de La Reynie ou de Vauban ! Le peuple a besoin d'être diverti et instruit tout autant qu'en sécurité ! Et je suis fier de participer à ces grands changements que mon frère souhaite apporter.

Je vous apprendrai tout cela, ma douce, mais je crois que pour le moment, vous avez déjà beaucoup de choses à appréhender. Tous ces us et coutumes en la Cour, la manière de se vêtir, de se tenir, de parler, tout cela est déjà une lourde leçon et je ne souhaite vous accabler en vos premières semaines parmi nous. C'est pour cela que je vous laisse avec Athénaïs, elle est mon amie et ma confidente depuis l'enfance. En dépit de son fort caractère qui peut effrayer, c'est une femme pleine de bon sens, de volonté et surtout, fort instruite des spécificités de la Cour.

Apprenez tout ce que vous pourrez et apprenez vite, il en va de votre survie. Je ne veux vous faire peur, mais les courtisans peuvent se montrer impitoyables. D'autres princesses avant vous ont connu des débuts difficiles. La Reine, qui est admirable et détient le respect de tous et de toutes, ne s'est pas bien intégrée à son arrivée en France. Elle s'est repliée sur elle-même, et ce n'est que le miracle de la naissance du Dauphin qui l'a aidé à finalement s'ouvrir à la Cour.

Je souhaite vous en épargner cela. Je ferai tout pour que vous vous sentiez à votre aise. Je ne veux que votre bonheur. Cependant je ne peux y parvenir seul, pour cela j'ai besoin de votre aide. Écoutez, je vous prie, mes conseils. Je ne suis pas l'homme le plus sage, et je vous mentirais en prétendant que mon premier mariage fut un succès. Au contraire, il ne le fut pas. Nous étions malheureux, Minette et moi. Mais j'ai appris de nos erreurs.

Je vous l'assure, je ferai tout ce que je peux afin que nous nous vivions en bonne entente, ce qui en fin de compte est plus important qu'être amoureux. J'avais aspiré à l'amour durant mon premier mariage, cela m'a rendu aigre et jaloux. Je ne crois pas qu'on puisse trouver l'amour dans les unions sacrées, surtout, je ne crois pas que sa quête absolue rende heureux. Peut-être qu'il faut cesser de le chercher pour qu'il vienne à soi ? Quoi qu'il en soit, je voudrais que nous soyons amis pour commencer, cela me paraît être un bon début, qu'en pensez-vous ?

Pour cela, il me faudra tout se dire, même les choses qui gênent et font souffrir. J'ai appris à la dure que les secrets ne durent jamais, et qu'une fois éventés ils deviennent pareil à des dards empoisonnés. Mieux vaut endurer une confession difficile que d'une terrible révélation, je vous l'assure. Vous aimez la franchise, c'est une qualité à laquelle j'aspire. Je vous enseignerai tout ce que je sais, de l'Étiquette et des manières de la Cour. En retour, j'aimerais que vous m'enseigniez toutes les vertus que vous manifestez et me préserviez de jalousies et anxiétés inutiles.

J'aimerais que nous ayons une union sincère et franche, que vous soyez mon amie la plus tendre, la plus proche.

27 janvier 1672, Saint Cloud

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant