Lettre II, du Chevalier à Monsieur.

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Mon cher Philippe,

Mon beau Prince, que me racontes-tu là. Moi te quitter ? Comment le pourrais-je ? Comment y songerais-je ? Etre à tes côtés est la plus belle chose qui me sois arrivée, demeurer en ton lit, m'enrouler dans tes draps, m'enivrer de ton odeur, sentir la chaleur de ta peau contre la mienne est la plus douce des récompenses. Comment pourrais-je vouloir quitter tout cela ? Ces délicieux instants en tes bras, ces embrassades, ces longues caresses, ces voluptueux instants.

Je ne te quitte qu'avec le plaisir en tête de te retrouver. Je ne t'abandonne que pour quelques heures sachant que je te reviendrais ensuite avec d'autant plus d'ardeur que pendant ces heures là, si difficiles, si ardues, j'étais loin de toi. Tu as peur que je ne te reviennes, que je t'oublies, et je n'ai jamais lu choses aussi ridicules et plus fausses que cela. Comment le pourrais-je alors que tu m'apportes tant de joie, de bonheur et d'amour ?

Je sors sans toi il est vrai, je pars à la chasse, jouer, faire tant de frivolités que je n'oserais faire devant toi, trainer avec des amis dont j'aurais honte devant toi, dont je ne veux que leur réputation désastreuse n'entache la tienne. Je ne souffrirais que tu sois avec moi en ces instants où je m'avilie loin de toi. Ne cherche à comprendre cela, je t'en supplie, car j'ai besoin de ces instants, j'ai besoin de me salir pour que tu me nettoie, me lave de mes péchés, de mes erreurs, de mes errances.

Si j'ai besoin de ces instants-là, cela ne veut pas dire que tu ne me manques, que je me réjouisses d'être loin de toi, simplement j'en ai besoin. Comme tu as besoin de retrouver ton épouse, de voir tes enfants. Je ne serais jamais jaloux de cela, de ta famille, ne le sois je t'en prie de mes amis, et de mes quelques maîtresses qui me sont nécessaires pour savoir ce qu'il se passe en la Cour.

Toi, tu as ton frère qui, quoi qu'il en dise, te protègeras et t'aimeras toujours, quoi que tu fasses, quoi que tu puisses dire. Moi je n'ai que mon frère, qui certes a gagné la faveur du tien mais je doute que le Roi ne m'apprécie depuis que je suis en ton lit. Il redoute l'empreinte que je pourrais y laisser, les conseils que je pourrais te donner, plus que tout, il redoute le fait que tu puisses n'avoir plus besoin ni de sa protection ni de son amour.

J'ai besoin de sortir, de voir ces gens que tu n'apprécies que je fréquentes, ces tavernes dont l'atmosphère te ferait hurler d'horreur, j'ai besoin de tout cela. Tu souffres de mon absence dis-tu mais tu sais parfaitement que nous nous ne supporterions plus si nous passions trop d'heures ensembles. Nous deviendrons d'éternels ennemis, irions de dispute en dispute, il est infiniment plus simple que nous allions chacun de notre côté durant certaines heures et parfois certains jours, afin que ressentir le besoin de l'autre, et retrouver la passion.

N'éprouves-tu donc jamais cette soif de liberté qui étreint ma gorge ? Parfois, je me le demandes. Tu acceptes de suivre ton frère, de rester en sa Cour, jamais tu ne t'éloignes trop de lui, jamais tu ne te trouves à plus d'une journée de calèche de lui. Ce qui m'étonne encore. Mon frère et moi nous nous adorons mais de loin. Un tel attachement me dépasse. Parfois je me demande, si tu n'as pas besoin de garder auprès de toi ton petit monde, ce qui est tout à fait adorable, mais aussi étouffant. Tu es peut-être construit ainsi, mais je ne le suis.

Tu m'aimes, dis-tu, alors laisse-moi cette liberté, d'aller et de venir, de te perdre pour te retrouver, je te promet de ne jamais trop m'éloigner, de ne jamais rester trop loin de toi trop longtemps, jamais à plus d'une journée, telle est la promesse que je peux te faire. Tout ce que je te demande en échange c'est de me laisser cette liberté.

A ce propos, la marquise de Coetquen m'a parlé d'un voyage en Angleterre que ton épouse devrait faire, je supposes que tu l'accompagneras, au moins jusqu'à Douvres. Ce sera l'occasion si tu le veux bien de mettre cette distance entre nous deux, de me prouver que tu es capables de me faire confiance, car je ne peux décemment pas vous accompagner. Ton épouse ne me supporte déjà pas, je doute que son frère supporte ma présence.

Nous avons déjà connu des séparations, celle-ci ne sera différentes des précédente, et je t'attendrais avec d'autant plus d'impatience que j'aurais le plaisir de te retrouver !

10 janvier 1670, Paris.

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant