Lettre XXXV, de Monsieur au Roi.

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Cette terrible et lente agonie a pris fin. Henriette n'est plus, mon frère.

Ses cris résonnaient dans tout le palais. Même depuis tes appartements où Bontemps t'a confiné tu as dû les entendre. Ta sécurité primant sur le mal la déchirant, tu ne pouvais être près d'elle, ainsi le veut le protocole. Mais je sais que tu aurais aimé être près d'elle.

Entendre les échos de sa douleur sans pouvoir faire autre chose qu'envoyer tes médecins et tes prières devait être douloureux. Tu t'en es toujours remis à ces savants en robe noire, t'es toujours exposé à leurs expériences sans mot dire, sans sourciller, en dépit de la douleur qu'ils t'infligeaient.

Mais mon frère, tu n'as entendu ses hurlements qu'au loin ! Tu ne peux savoir ce que c'était vraiment. L'entendre hurler à l'empoisonnement un moment, et à l'autre jurer que personne n'aurait pu faire cela. Le délire l'avait déjà saisie à cet instant, j'en suis persuadé. Elle était déjà à l'agonie lorsqu'elle a bu cette fichue chicorée bien que cette boisson ne soit en rien responsable.

Ce qui l'est c'est les médecins qui la traitaient depuis des années et qui, voyant son mal empiré, n'ont rien fait pour l'aider. Ils lui ont fait boire toutes sortes de mixtures hier, des contrepoisons qui m'ont paru lui faire plus de mal que de bien. Ils l'ont même saignée alors qu'elle vomissait du sang en se tordant de douleur ! Voyant tout cela, j'aurais voulu chasser ces médecins, y compris les tiens.

Tous des incapables qui n'ont fait que hâter son trépas et augmenter ses douleurs ! Si tu savais comme je les déteste ! Tu n'y as pas assisté, mais moi j'étais là quand ils ont découpé Mère morceau par morceau, elle qui était si belle et si fière, exposant ainsi ses chairs comme si cela pouvait la guérir !

L'écho de ses râles d'agonie et de souffrances résonnent encore en moi. Je suis resté à ses côtés jusqu'au bout, c'était mon devoir, en tant que fils envers Mère, en tant qu'époux envers Henriette. J'ai veillé sur elles jusqu'à la fin. Je n'ai pas peur de la mort contrairement à toi qui refuse systématiquement de porter le deuil. Peut-être est-ce parce que tu as été témoin de la pire de toutes.

J'étais trop jeune alors, quand Père se tordait de douleur. L'on m'a raconté que c'était son estomac qui le faisait souffrir, et que, comme Henriette, il en est venu à cracher du sang. Cela a duré des années, une lente et effroyable agonie. Si nous y avons tout deux assistés, lorsqu'il a fallu lui dire au revoir, je n'en ai pas le moindre souvenir. Mais toi, tu t'en souviens.

Je ne sais comment tu peux faire confiance aux médecins après avoir été témoin de cette mort effroyable, après avoir mis en terre Mère dans les mêmes conditions. Ce mal les a rongés sans qu'aucun médecin ne puisse les en sauver. Aucune saignée ne l'aurait pu.

Quand je songe à la mort, je réalise combien nous avons perdu tous deux d'enfants, d'amis, de parents. Nous-même avons tant approché la mort qu'on a déjà reçu les derniers sacrements et pourtant, nous sommes encore là, à les pleurer. Je ne sais si c'est d'avoir veillé toute la nuit, d'avoir vu Henriette tordue ainsi de douleur, mais je préférais être le prochain plutôt qu'avoir encore à verser autant de larmes, à voir encore quelqu'un de cher m'être arraché.

Pardon, de parler ainsi de ma propre agonie, de ma propre mort en ce jour. Je ne veux ajouter à ton chagrin. Nous avons assez versé de larmes toi et moi.

Tu sais, je songe qu'Henriette ne pouvait nous quitter comme elle a vécu, en éclat. Comme elle est loin l'enfant timide que nous avons connue. Te rappelles-tu ? Elle n'osait se joindre à nous dans nos jeux et nous avions vite fait de l'oublier. C'était Athénaïs qui nous disputait de ne pas avoir pitié de cette pauvre petite princesse misérable qu'elle était. Quelle ironie, quand on sait combien elles se sont détestées par la suite.

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant