Lettre XIX, de Monsieur au Chevalier.

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Mon bel amour,

Toutes mes pensées sont pour toi, tous mes actes, toutes mes rébellions, tous les cris que je pousse, sont pour toi. Uniquement pour toi.

Je me bats comme un lion, tu me verrais, tu serais fier de moi. Tout le monde prétendait que j'étais incapable de le faire, de livrer bataille à mon frère, et bien je le fais, contre lui et tous les ministres, tous les soupirants de ma sœur et tous ceux qui s'opposent à ton retour ! Je négocie âprement chaque apparition publique, chaque détail du voyage en Angleterre, je ne compte leur laisser de répit puisqu'ils ne m'en laissent aucun.

Je déteste cela, si tu savais. Que dis-je ? Bien sûr que tu sais combien il m'est difficile de me disputer avec mon frère, car alors ma colère jaillit hors de moi sans que je puisse la contrôler, et je deviens une sorte de monstre dénué de réflexion ! Je peux être si horrible en ces moments-là.

Par chance, je n'ai jamais été ainsi avec toi et je prie pour que jamais tu ne voies ainsi. Si je peux être odieux avec Henriette c'est avec mon frère que le vrai monstre jaillit.

Je suis alors tel un animal enragé que rien n'apaise. Je cherche à mordre, à meurtrir, à faire mal. C'est comme si mon esprit n'était tourné que vers cela, que vers la haine et la colère, qu'il n'y avait plus que mon sang bouillonnant dans mes veines. Quand je hurle, les mots qui s'échappent sont des grognements, parfois pareils à des morsures laissant des cicatrices qu'ensuite je regarde avec tristesse et regret.

Nous sommes frères et après tout, il est bien normal qu'on se dispute, mais il est Roi. Je lui dois obéissance, je dois n'être que son ombre, l'aider lorsqu'il en a besoin et ne jamais me mettre en travers de sa route. Je sais que tu ne comprends cela, que ça te rend dingue de m'entendre dire cela, mais c'est ainsi que je suis, que nous sommes et nous n'y pouvons rien. Je ne souhaite rien en changer.

Ce n'est pas seulement pour l'ordre dans le royaume, pour éviter de revivre ce que Père et mon oncle ont vécu. Je ne voudrais pour rien au monde faire à Louis ce que Gaston a fait à Père, c'était bien trop affreux, un frère ne devrait jamais faire cela. Je l'aime trop pour lui faire pareille chose, ce n'est pas uniquement par devoir, mais par amour que je m'en défends ! Louis est plus que mon frère, il a été mon protecteur, mon bon petit papa.

Je suis un orphelin, je n'ai pas de souvenir de Père, mort trop jeune et d'atroce manière. Mon frère m'a protégé de cela, de la Fronde et de tant de choses. Mère était terriblement occupée quand nous étions petits à nous protéger contre notre oncle, nos cousins qui voulaient nous arracher notre héritage, notre liberté et peut-être même notre vie. Louis était là pour moi quand personne d'autre ne l'était, il a passé tant de temps à me rassurer, que cela ne m'étonne guère qu'il n'ait plus l'énergie pour consoler qui que ce soit à présent.

Nous étions rien que tous les deux alors, cela compte plus que toutes les politiques, règles et étiquettes du monde.

J'ai appris que tu allais rejoindre ton frère à Rome, tu dois me comprendre, toi aussi tu aimes ton frère plus que tout. Peut-être même, plus que tu ne m'aimes moi. Enfin, je préfère ne pas y songer, ne pas me prêter à de telles comparaisons que je perdrais très probablement. Souhaite-moi bonne chance, souhaite-moi de parvenir à te faire revenir à moi.

En attendant cette joie de te retrouver, dis-moi quels artistes brillent en Italie, si Florence est aussi belle qu'on le raconte, si Rome est aussi majestueuse, si le Vatican est aussi impressionnant. Si tu le peux, envoie-moi des esquisses d'artistes que tu auras rencontrés. Décris-moi ces paysages fantastiques que Leonardo a si bien captés. Et parle-moi d'Opéra.

Tu le sais, Lully déteste qu'on parle d'Opéra italien, et même qu'on en joue. Je dois me rendre en secret dans ces salles en espérant que personne ne lui rapportera que j'y suis allé. C'est incroyable tout de même, tu ne trouves pas ? Je ne le comprendrais jamais à ce sujet-là. Mais peut-être qu'il en a assez qu'on ne lui parle que d'Opéra.

Je t'enverrais sous peu un dessin de moi, entièrement nu ! C'est un peu audacieux je le reconnais, mais le marquis d'Effiat connaît quelqu'un qui connaît quelqu'un et pour la faire courte, l'artiste en question est des plus discrets, il a un ravissant petit atelier sur Paris, sous les toits où seule la lumière naturelle éclaire son sujet. C'est petit, mais adorable à ce qu'on raconte. Il faut se faire dessiner par lui si l'on veut être à la mode à ce qu'il m'a dit. Et je sais que ce genre de frivolité te plaira autant qu'à moi.

Naturellement pour plus de discrétion, je chargerais l'un de mes mignons de te l'envoyer, depuis la campagne afin que personne ne fasse le lien. Donne-moi l'adresse d'un ami à Rome qui sera garant de notre secret. Je ne voudrais que l'esquisse tombe entre de mauvaises mains. Ma chère épouse a encore des amis capables de ce genre de sournoiserie, et puis Cosnac m'en veut toujours terriblement à ce qu'on raconte. Je n'ai nulle envie de lui donner des armes contre moi. Contre nous, car ils trouvent toujours à te faire des critiques même quand l'erreur vient uniquement de moi.

Quoi qu'il en soi, prends soin de toi, illumine tes beaux cheveux au soleil italien, mais point trop, je ne voudrais point que ta peau soit tachetée mon bel ange. Profite de la vie italienne qu'on dit douce, mais point trop. Je voudrais que tu te languisses de moi.

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant