Lettre XLV, du Roi à Monsieur.

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Mon frère, je suis au regret d'apprendre que ce genre de bruit continue à courir. Malheureusement, tu sais comment se comportent les courtisans, par ennui ou méchanceté ils aiment à s'inventer des histoires. Nous en avons tous été l'objet et nous avons survécu. Je te dis cela en sachant parfaitement combien celles-ci sont cruelles et ignobles. J'ai fait ce que j'ai pu pour faire taire les plus affreuses. Tu es mon petit frère et je te protègerai toujours. Surtout en cet instant si douloureux pour toi.

Cependant pour ton amant, je crains de ne pouvoir rien faire. Le Chevalier s'est toujours attiré les foudres des courtisans. Je ne veux leur donner raison, car je sais qu'il n'est pas coupable de ces crimes dont on l'accuse, mais le Chevalier s'est toujours montré arrogant envers eux, comment veux-tu qu'ils l'aiment ? Au contraire, ils le détestent, le jalousent parce qu'il a tes faveurs et donc, indirectement, les miennes.

Ne crois pas que je ne te comprends pas. Athénaïs aussi n'est pas épargnée par la jalousie des courtisanes qui auraient aimé bénéficier de mes faveurs. Je vois bien qu'elle fait mine de n'en être affectée, d'être au-dessus de cela, mais que leurs piques la blessent, et qu'elle se cache parfois pour pleurer. Cela me remplit de rage de la voir dans cet état, mais il n'y a rien que je puisse faire. Toute tentative pour étouffer ces rumeurs par la force ne ferait que les empirer.

Il n'y a qu'une seule manière d'agir qui convienne, c'est de leur prouver qu'ils se trompent, de leur montrer qu'il n'y a rien pour attiser leur haine, et si l'on n'y parvient, se dresser des remparts afin que cette haine ne nous atteigne. Nous avons souffert tous les deux, durant la Fronde, de savoir que tant de nobles, de cousins n'avaient aucun respect pour notre mère, que de la haine pour mon parrain, le Cardinal. Leur prétendue dévotion à nous deux n'était qu'un odieux mensonge qui se serait transformé en sanglante trahison si nous leur en avions laissé l'occasion. Je remercie chaque jour le ciel que Mère eut été aussi sage de nous protéger comme elle l'a fait, et j'aimerais tant être capable d'en faire de même aujourd'hui pour toi.

En vérité, tu ne peux pas plus protéger le Chevalier que je ne le puis. Il a toujours provoqué les médisances. Ce qui t'amusait autrefois te plonge à présent dans la terreur la plus absolue, et je la comprends, mais de moi et de ma justice tu n'as rien à craindre, je t'en fais la promesse. Si terribles soient-elles, ce ne sont que de fausses accusations qui ne trouveront jamais d'écho en un quelconque tribunal.

Ne te tracasse pas pour le Chevalier, il est plus fort qu'on ne le croit. Je doute que ces rumeurs l'atteignent de là où il se trouve et si nous parvenons à convaincre Charles II que tu n'as rien du meurtrier qu'il s'imagine, qu'au contraire, tu es l'époux le plus doux qu'on ait pu voir au chevet de son épouse agonisante, je suis persuadé que nous pourrons aller alors en campagne. Et si le Chevalier en nous y rejoignant s'illustre au combat alors plus personne ne trouvera quoi que ce soit à redire à sa conduite, je peux te l'assurer.

Je t'en prie, Philippe, ne perds pas de vue notre objectif et notre plan. La seule chose à faire à cet instant c'est d'écrire à ton beau-frère plutôt qu'à moi ou à Athénaïs. Confie-lui ta peine, montre-lui la sincérité de ton cœur, la beauté de ton âme, et je suis convaincu qu'il reviendra à de meilleurs sentiments à notre égard. Car si, par bonheur, tu obtiens de lui des paroles réconfortantes parce qu'il aura compris que ton chagrin est réel et que tu es très loin d'être l'homme qu'il s'imagine, alors je pense qu'enfin les tumultes cesseront en Angleterre, que nous pourrons partir en guerre, et tu pourras retrouver le Chevalier.

6 juillet 1670, Versailles.

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