Lettre LXXXV, du Roi à Monsieur.

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Mon cher frère, ne te préoccupe plus, je t'en prie, de notre cousine. Celle-ci savait parfaitement les dangers qu'elle encourait lorsqu'elle s'est entichée de Lauzun, elle connaissait l'homme et si elle a cédé à ses charmes et lui a ouvert trop vite son cœur, nous n'en sommes en rien responsables. Nous avons tenté de l'avertir à plusieurs reprises, Athénaïs comme moi-même, sur le fait que Lauzun n'était en rien un bon parti pour elle et qu'assumer publiquement son affection à son endroit était un risque considérable qu'elle prenait. Notre cousine n'en a toujours fait qu'à sa tête.

Je te sais d'un grand cœur, mon frère, mais tu ne devrais plus te soucier d'elle, pas plus qu'elle ne s'est souciée de toi quand elle t'a repoussé devant moi et le reste de la Cour. Anne-Marie-Louise n'a jamais manifesté le quart de l'égard que nous lui offrons. Cela lui paraît peut-être juste, elle a toujours eu une très haute estime d'elle-même et n'a jamais voulu se plier aux coutumes et aux conventions d'usage. Elle ne s'est jamais comportée comme la princesse qu'elle se devait d'être. Aussi s'est-elle retirée elle-même des égards dus à son rang.

Ne crois pas que je sois dénué de compassion à son endroit, mais peut-être qu'éprouver cette douleur l'aidera d'autant plus à revenir à la raison. Notre cousine n'est pas comme nous, elle a l'esprit plus farouche et il lui faut des épreuves plus dures pour comprendre la leçon amère que peut nous donner la vie. N'aies de craintes, je ferai annuler ce mariage qui n'aurait jamais dû être célébré.

Celui dont je voudrais plutôt t'entendre parler c'est le tien ! Tu ne m'as dit pas un seul mot au sujet de ton épouse ! Je suppose que le voyage l'a considérablement fatiguée et qu'à présent elle anticipe avec quelques frayeurs le bal que j'ai prévu pour ce soir en son honneur. Je te fais confiance pour l'aider à s'y préparer et m'excuse de t'avoir tenu éloigné de l'organisation, mais je serais un piètre hôte de te laisser t'en charger pour une fête célébrant ton propre mariage !

Et puis, ton épouse a besoin de toi en cet instant, alors cesse de te soucier inutilement de notre cousine, et même du Chevalier qui reviendra en temps et en heure. Je te l'ai promis et je tiens toujours mes promesses, n'est-ce pas ? Dis-moi plutôt si ton épouse s'habitue à sa nouvelle vie, si elle apprécie vos appartements, si elle est suffisamment à son aise et si elle goûte notre climat. J'ai cru comprendre qu'elle aimait la chasse. Penses-tu qu'elle aurait la force de m'y accompagner cet après-midi ? Je te la rendrai quelques heures avant le bal, je t'en fais la promesse, tu auras amplement le temps de la préparer.

À moins que tu ne souhaites nous te joindre à nous ?

1er décembre 1671, Saint Germain

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant