Lettre LX, de Monsieur au Chevalier.

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Mon tendre Chevalier,

Je ne puis cacher la peine que me causent tes mots. Ce n'est pas que je doute de toi, mais entendre parler de tes aventures avec Marie, quelle qu'en soit la raison, m'est difficile. Cependant, je me suis promis de ne plus me laisser emporter de la sorte. Je l'ai fait en bien trop de manières avec mon frère et Henriette. Je ne veux plus de cette jalousie entre nous. Je ne veux plus réagir ainsi. Je te fais confiance, je sais que tu me reviendras. Je ne veux pas douter après les mots d'amour que tu m'as transmis.

Je souhaitais te donner des nouvelles d'ici.

Comme je l'espérais, nous ne sommes plus au cœur des rumeurs à la Cour ni à Paris ! J'en suis tant soulagé d'entendre parler d'autres histoires que de notre prétendu complot pour nous débarrasser d'Henriette ! La nouvelle de mon remariage a sans doute accéléré les choses. Mon frère est si impatient, tu le connais, qu'il a déjà commencé les tractations auprès de notre cousine. Cette dernière ne semble pas plus pressée que je ne le suis.

J'ai beau dire à Louis de patienter, qu'il est encore trop tôt, et que notre cousine a d'autres projets que celui de se marier, elle qui a toujours été si indépendante et si fière, il ne m'écoute pas.

Qu'il est amusant de se remémorer qu'adolescente, elle voulait épouser mon frère qui n'était alors qu'un bambin. Elle ne songeait qu'à porter la couronne, bien sûr. Notre cousine a toujours privilégié ses propres intérêts avant ceux de la France et des nôtres.

Mais si la différence d'âge était alors criante, qu'en est-il entre moi et elle ? Je me le demande. Si on laisse des jeunes femmes épouser de vieux croutons, l'inverse serait-il vrai ? Au moins, je sais qu'elle n'a rien contre toi et ma manière d'être. Mais elle est si fière, j'ai peur de sa fierté. Et de son mauvais caractère.

Je dois déjà supporter le tien, cela me paraît bien assez !

Je plaisante évidemment, tu n'as pas mauvais caractère. C'est ton amour-propre, qui s'impose un peu trop. J'aimerais tant que tu m'en donnes un peu parfois.

Notre cousine n'a ni refusé ni accepté, une gentille manière de signifier qu'elle n'était pas intéressée. Je n'en prendrai ombrage, d'autant plus que je pense qu'en effet nous serions bien mal assortis, mais j'aimerais que la chose ne devienne publique. J'ai beau ne pas avoir beaucoup d'amour propre j'en ai tout de même assez pour n'avoir le désir de souffrir d'un affront public de la part de ma cousine ! Je crois qu'elle m'a fait bien assez de torts quand elle nous tirait dessus au canon !

Évidemment, je préférais t'épouser, toi.

Pourrais-tu imaginer une telle chose ? Ce n'est qu'un rêve, le plus fou que je n'ai jamais fait.

À chaque fois que je m'endors dans ce grand lit vide que nous occupions, je songe à ce que nous avons enduré, toi et moi, au malheur que cela a été pour Henriette, et à ce que cela serait pour ma cousine ou n'importe quelle autre princesse. Je ne pourrais jamais leur donner ce qu'elles désirent, attendent d'un époux. Comment le pourrais-je alors que je n'aime que toi, que je n'ai d'yeux que pour toi ?

Je sais bien qu'une telle chose est impossible et rien que d'y songer, je risque de finir dans un asile pour fous, mais tout de même...

Ce serait si plaisant de pouvoir épouser la personne de son choix, de ne pas devoir souscrire à une obscure politique de mariages et d'unions supposées pacifier l'Europe. D'ailleurs, le mariage de mes parents n'a nullement empêché la guerre contre l'Espagne ! En vérité, ces mariages provoquent plus la discorde que la paix. Vois ce qu'il a failli advenir avec l'Angleterre ! Si Charles II avait été plus vindicatif, nous serions peut-être en guerre à cet instant. Mais nous sommes prisonniers de ces jeux politiques.

Pendant un instant, cependant, j'ai rêvé que nous n'ayons plus besoin de feindre quoi que ce soit, de rendre des comptes à qui que ce soit, de craindre l'exil ou la prison à cause d'une cabale ou d'on-dit. Si nous pouvions nous marier, que la vie serait douce alors. Je sais bien qu'une telle chose est impossible, alors je vais continuer d'en rêver en écoutant mon frère insister auprès de ma cousine qui n'est pas plus convaincue que je ne le suis.

La seule chose qui me console est que mon frère ne pourra me remarier avant un an, le temps de respecter le deuil d'Henriette. J'aurais aimé que tu sois à mes côtés durant ces longs mois de solitude. J'ai mes enfants et je suis heureux des instants que nous passons ensemble, j'ai également des amis, dont le marquis d'Effiat qui me raconte tout ce que tu n'oses mettre dans tes lettres, mais ce n'est pas comparable.

Tu me manques terriblement, cela fait tant de mois que je ne t'ai pas vu ! J'ai peur de ne plus connaître ton odeur, de perdre le souvenir de tes traits angéliques, de ta peau douce comme celle d'une pêche, de la courbure de tes hanches. Je t'en prie, ravive ma mémoire, envoie-moi un nouveau portrait de toi, conte-moi ce que tu fais, si tes cheveux ont blondi sous le soleil d'Italie, si tes joues sont devenues plus roses, si ta peau a légèrement bruni. Ne m'épargne aucun détail, je veux tout savoir.

Tu me manques tant.

23août 1670, Paris

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant