Lettre X, de Monsieur au Chevalier de Lorraine.

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Mon tendre amour,

J'ai écouté tes conseils, je suis parti sitôt ta lettre reçue, j'ai emporté femme et enfants et je me suis réfugié en mon château de Villers-Cotterêts. Je n'ai dit un mot à mon frère, j'ai attendu qu'il m'envoie l'un de ses serviteurs armé de mots déchirants, inquiets et autoritaires, à son habitude. Tu avais raison, il ne supporte pas que je m'éloigne de lui, même de quelques kilomètres, que je puisse vouloir me couper de lui et de sa Cour.

Louis a toujours attendu de moi que je sois à sa disposition, n'aimant que je lui fasse de l'ombre, que je désobéisse à ses plans, que j'œuvre contre sa stratégie, et tu sais bien que j'ai été un frère obéissant, que la simple idée de le fâcher, d'aller à l'encontre de tout ce pourquoi nous avions lutté enfant, tout ce pour quoi Mère s'est tuée à la tâche, pire encore, à l'idée que Gaston, Condé et tous les Grands puissent avoir raison, j'en suis malade. Je n'ai aucune envie de lui porter préjudice, d'être un traître, de nuire à la France, à la Cour.

Mais il ne me laisse aucun choix. C'est exactement comme tu as dit.

Tout ce qui lui importe est que je fasses ce qu'il veut sans mot dire. Il voudrait que j'accepte de lui laisser ma femme, que je l'en laisse disposer comme il l'entends, il se fiche bien de ce que cela peut me faire, de ce que diront les gens, de ce que cela fera à notre couple. Tu le sais toi, que je ne veux souffrir comme j'ai souffert, que je ne veux revivre mes tourments d'autrefois. Notre vie de couple est imparfaite, nous avons nos éclats, nos colères, notre amertume, je la sais aussi malheureuse que je le suis. Mais c'est tout autant à cause de lui qu'à cause de nous, et peut-être, un peu à cause de toi.

Toi que j'aime tant. Je le sais bien, que je ne suis le mari qu'elle aimerait, et pour cela, elle me déteste tant, plus encore, elle te haït. Je comprends les raisons de cette colère, de cette haine. Notre amour la blesse, tu comprends ? Nous nous aimons tant, nous sommes si heureux tous les deux, nous nous suffisons, nous n'avons besoin d'elle, ni que qui que ce soit. C'est ce qui les perturbe tant. Ils nous jalousent notre bonheur, plus encore, ils sont terrifiés par le fait que je pourrais me suffire de toi seul.

Si tu savais comme j'aimerais pouvoir te rejoindre.

Partir avec toi, loin d'ici, loin d'elle, loin de lui, loin de cette Cour qui n'a que mépris pour nous. Il n'y a qu'Athénaïs qui nous comprends et nous accepte, il n'y a qu'elle qui comprenne la force de notre amour. Elle m'a avoué, tu sais, avoir le même genre d'amour pour mon frère, qu'elle tente encore de lutter contre, qu'elle ne veut vivre une vie misérable de maîtresse, de risquer la haine de son époux comme je subis celle de la mienne, elle qui a vu tout ce par quoi je suis passé, ne voudrait avoir la même vie, pourtant, son cœur la portera vers lui.

Personne n'a jamais su lui résister.

Tu dois le savoir, tu es pareil. Tu as quelque chose en toi de si lumineux, il est tout bonnement impossible de te résister. On a beau y mettre toutes ses forces, on a beau essayé, on s'épuise sans aucun résultat mesurable. Je comprends, tes amants, tes mignons, toutes ces femmes te tournant autour. Tout le monde tombe amoureux de toi, éperdument. Moi le premier. Pourtant, je me demandes si tu es capable d'aimer.

Même moi, parfois j'en doutes.

Je le sais, ce n'est pas le moment de douter. Pourtant, une fois la colère retombée, quand tu as disparu emporté par ces hommes que j'ai détesté profondément, j'ai réalisé que je pourrais mourir de ton absence mais que je n'étais certain que ce soit le cas pour toi. Bien sûr que tu es attaché à moi, mais comme on s'attache à quelqu'un qui nous entretient, nous nourrit, nous apporte tout ce dont on a besoin. Or, le soleil éblouissant que tu es n'a pas besoin de moi en vérité.

Je ne devrais te le dire, mais tu serais capable de vivre par toi-même si tu t'en donnais la peine, si tu abandonnais ces amitiés fatales que tu entretiens, si tu cessais de te comporter comme un enfant impertinent, si tu mettais toute cette énergie non pas en offense contre Dieu et le Roi, mais en des choix pour l'avenir, en investissement, en bâtissant ton futur. Tu es quelqu'un d'intelligent et d'incroyablement fort, tu y parviendrais si tu t'en donnais la peine.

Et je te détesterais si tu faisais cela, si tu t'éloignais de moi, si tu prenais ton indépendance. Vois l'état dans lequel tu me mets. Je comprends à ce stade que les choses doivent changer, que si nous continuons ainsi je finirais par mourir d'angoisse à ton sujet et peut-être bien que toi tu périrais par ton inconscience, mais si je te poussais à plus de maturité ne réaliserais-tu pas que tu peux parfaitement te passer de moi ?

Comme tout cela est difficile, comme cette absence me plonge dans des émois et des tremblements, comme j'angoisse à l'idée que mon frère te punisse plus encore. Tu le sais, combien il peut être obstiné et à quel point il met du temps à pardonner ? J'espère bien que tu lui écriras pour te faire pardonner, que tu lui jureras que tu n'as rien fait de mal, que tout ce que tu voulais c'était notre bien, à moi et à Henriette. Mens s'il le faut. Mais fais-toi pardonner, je t'en conjure !

10 février 1670, Villers-Cotterêts

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant