Lettre XXXIX, de Monsieur au Roi.

4 1 0
                                    

Le cœur noué, les pensées glacées, j'attends les résultats de l'autopsie.

Ces mots qu'elle a prononcés, durant son agonie, me hantent encore et me terrifient. Je ne peux croire à un empoisonnement, même accidentel. Je ne veux y croire. Pourtant, des princes et princesses empoisonnées, il y en eut tant en France et plus encore en Angleterre. Et une mort aussi subite, en dépit d'une santé fragile, surprend toujours et apporte immédiatement des soupçons. Je le sais bien. Toi-même, tu as craint que Guillaume d'Orange ne se contente plus d'espions, et envoie des assassins. Tu craignais pour la vie d'Henriette.

Un assassin hollandais serait venu jusqu'à elle ? Ce serait possible. Le traité est déjà signé, me dirais-tu, alors quel intérêt aurait Guillaume d'Orange à nous priver de la princesse ? Il me semble que si elle avait été empoisonnée, ce que je redoute, et n'espère point, le Roi d'Angleterre, son frère, m'accuserait, moi. Il le fait déjà. Or cette accusation menace votre traité, l'alliance conclue, plus encore, la paix et notre réputation ! Guillaume d'Orange réussirait là un joli coup, en réduisant à néant tes efforts et ceux d'Henriette.

C'est cela ma terrible crainte que je n'ose te révéler à voix haute et que je préfère coucher en ces lignes. Tu es resté près de moi, durant les premières heures de l'autopsie, ta main posée sur la mienne, tu n'eus même pas besoin de me dire quoi que ce soit. Je savais ce que tu ressentais, ce que tu éprouvais. Tu ne me crois coupable de rien. Je le sais à présent. Peut-être que l'idée t'a effleurée un bref instant, mais j'en doute. Peu importe ce qu'ils ont pu te dire, tous ces médisants qui un jour te flattent pour te trainer dans la boue le lendemain. Tu ne serais pas resté auprès de moi, si tendre et si calme si tu avais eu le moindre soupçon.

Nous avons toujours pu tout nous dire, parler franchement, entre frères.

Lorsque je te fis toutes ces exubérantes demandes, suggérés par cet idiot d'abbé qu'adorait Henriette, tu me le dis tout net que tu ne pourrais y répondre par la positive, et sans craindre que j'en sois vexé, tu ajoutas que tu attendais d'autres demandes plus raisonnables de ma part afin d'avoir le plaisir de pouvoir me combler comme tu voulais le faire.

Je connais ton cœur, mon frère, comme tu connais le mien.

Toi, plein de raisons, toujours vigilant à l'équité, songeant que ce que tu donnes à l'un il faudra le donner à l'autre, vigilant à la politique, à comment tes actions seront perçues, et à ce qu'elles inspiront. Quand tu refuses quelque chose, ce n'est jamais par méchanceté, je le sais bien. Tu ne souhaites pas que j'ai de gouvernance en France comme ailleurs, et cela me convient  parfaitement, je n'ai le goût à ces choses-là, à ces choix difficiles qui peuvent priver une partie du peuple de joie. Je t'ai toujours admiré pour cela, toi tu es capable de faire ce dont je serais parfaitement incapable.

Moi, j'ai toujours été sentimental, celui qui s'emportait le premier quand nous étions petits, celui qui versait des larmes, pour nous deux, car un Roi ne pleure pas, celui qui aimait, parfois pour nous deux. Je suis resté au chevet de Mère durant sa longue agonie, je n'ai pas plus quitté Henriette. Toi, tu ne le pouvais. Un Roi ne peut rester en présence des mourants. Cela me plait d'être ton représentant en ces douloureux moments. Pleurer fait du bien, ressentir intensément, aimer chacun, pouvoir parler à un miséreux et le soulager un instant. Je me suis toujours attaché aux gens, quelle que soit leur position, qu'ils soient bien nés ou non.

C'est tout cet amour en moi, que je possède, mais que je ne pus offrir à Henriette qui me torture en cet instant. Car si je ne l'ai empoisonnée, j'ai rendu sa vie misérable et terrible, je le reconnais. Je n'ai pas su l'aimer, je lui en ai voulu de t'aimer toi, d'aimer tous les hommes sauf moi. Ce qui n'était pas très juste, je le reconnais. Car je n'arrivais pas plus à l'aimer qu'elle n'y arrivait. Et je crois bien qu'elle essaya de toutes ses forces.

Mais nous ne nous haïssions pas.

Il est vrai que nous avions des disputes terribles, des éclats douloureux, que nous nous rendions malades l'un l'autre, que nous n'arrivions à discuter tranquillement, que nous étions égoïstes, jaloux, l'un de l'autre, mais nous ne nous détestions pas. Après les crises et les larmes, nous nous retrouvions dans notre lit, nous nous pardonnions l'un à l'autre, nous faisions la paix entre les draps. Ces grossesses à répétition, je t'ai menti, je ne cherchais pas à l'éloigner de toi, encore moins à ternir sa beauté, ou à la fatiguer, je voulais seulement l'aimer.

Quand elle portait nos enfants, quand elle fut mère, l'amour que j'avais cherché à éprouver tant de fois pour elle vint enfin. Je ne saurais l'expliquer. Tu le sais sans doute pour l'avoir éprouvé toi-même, mais la voir porter mes enfants me remplissait de tant d'amour ! Je lui pardonnais alors tout, je ne songeais qu'à cet enfant à naître et à tout l'amour que nous aurions à lui offrir que j'en pleurais. Je pleurais de constater que nous avions été si idiots à nous déchirer au lieu de nous aimer. Bien sûr, le sentiment passait ensuite.

Peut-être parce qu'Henriette n'a jamais vraiment été une mère aimante. Je crois bien qu'elle n'a jamais voulu de ce rôle. A pour chaque grossesse, elle craignait de perdre sa beauté, ne voyait que tous ces bals où elle ne pourrait danser. C'est ce qui la poussé à ce comportement confinant à la folie, de refuser de garder le lit, même si ça la rendait sujette à malaise et fausses couches. Je ne l'ai jamais enfermée en sa chambre. J'aurais peut-être dû.

J'aime profondément nos enfants. Je suis peut-être un peu trop maternel avec eux, pas assez ferme, mais je les aime confusément, passionnément. Notre ainée lui ressemble. A sa naissance, le bonheur revint un peu en notre foyer. Mais il ne dura. Par la suite, les fausses couches s'enchainèrent. J'accusais le train de vie que menait Henriette, elle m'accusa de la mettre enceinte pour l'empêcher de danser et de voir ses amants.

L'orage était revenu, la paix et l'amour disparus.

Notre couple était au bord de l'implosion quand tu as décidé de ce voyage, voilà le terreau anxiogène à cette tragédie. Pour Henriette qui était si souvent sujette à ces maux, cela n'a pu que détériorer sa santé. Je le regrette bien, de n'avoir été capable de lui pardonner ses excès, sa passion, car elle était passionnée, plus encore que toi ou moi pouvons l'être. Je regrette plus encore d'avoir fait tous ces caprices autour de son voyage. Je n'arrivais à concevoir qu'elle parte seule, dans son état. Elle était fragile et malade et ces dernières années, cela empirait.

Plus encore, je regrette de ne pas être venu vers toi, de ne pas t'avoir demandé de l'aide. Tu aurais pu la raisonner, j'en suis certain. Elle t'écoutait, elle t'aimait.

À présent qu'elle n'est plus là, c'est moi qui suis terrifié. À l'idée de tout perdre, de ne plus jamais le revoir, de perdre ta confiance qui m'est si chère. Si c'est sa vengeance par-delà la tombe, alors elle est terrible !

2 juillet 1670, Saint Cloud

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant