Lettre LXXI, de Monsieur à Athénaïs.

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Je me dois de te faire une confession, à toi qui sais tout de moi et pardonnes mes folies, mes colères puériles, mes crises de jalousie, à toi qui m'as toujours écouté sans me juger, toi qui m'as gardé près de ton cœur alors que j'ai été infecte quand tu es tombée amoureuse de mon frère. Je m'excuse de ma froideur, de ma distance, du peu de réponses que j'ai pu offrir à tes lettres.

Après ce qu'il s'est passé avec ma cousine, je compte sur les doigts de la main mes véritables amis, ceux sur qui je peux me reposer quoi qu'il arrive, et qui ne trahiront les confidences que je leur fais à leur propre profit. Tu es de ces amis fidèles. Je t'adore, tu le sais. Je t'ai toujours considérée comme une confidente précieuse en plus d'être une belle créature et un caractère qu'on ne peut qu'envier.

Tu te demandes sans doute pourquoi toutes ces flatteries ? Pourquoi cette confession tarde tant à venir ? Eh bien, c'est que je ne suis guère à mon aise. J'ai porté le deuil de mon épouse six mois durant lesquels j'ai évité de faire la fête, de m'amuser comme je le faisais autrefois, j'ai vécu en quasi-ermite, restant proches de mes enfants puisqu'ils avaient besoin de moi, me contentant d'échanger des lettres avec vous tous, n'y répondant pas toujours et en éprouvant un amer remord, m'inquiétant que vous m'en teniez rigueur.

Mais je pense que six mois c'est bien assez long et que je dois cesser de m'infliger ces punitions pour un crime que je n'ai point commis. Je n'ai pas tué Henriette, ni moi, ni aucun de mes amants. La science en a apporté la preuve, mais mon esprit continuait de ruminer, de douter, jusqu'à ce que je réalise que je ne suis coupable d'aucun crime envers elle méritant une si lourde peine. Qu'au fond, il était sans doute écrit que les choses devaient se passer ainsi.

Je sais désormais que je l'ai aimée, pas autant que je l'aurais voulu, plus que je ne lui ai montré. Henriette a fait ce qu'elle a pu pour être ma femme et remplir ses obligations. Naturellement, elle ne pouvait rien contre les élans de son cœur, pas plus que je n'y pouvais quelque chose contre les miens. Nous étions des étoiles contraires, nous n'étions pas destinés à nous chérir, encore moins à nous marier, mais parce qu'il le fallait pour le bonheur de la France, nous l'avons fait, et avons tenu notre rôle.

Je sais que pour ta part, tu ne dois avoir fait la paix avec elle. Mon amie, essaie d'oublier ta rancœur. Henriette n'est plus. Si tu continues à éprouver toute cette colère, tous ces regrets, il n'y a que toi qui en souffriras. Peu importe ce qu'elle a pu faire, nous l'avons fait autant souffrir qu'elle nous a fait souffrir. Moi avec mes crises de jalousie. Toi, en gagnant l'amour du Roi, chose qu'elle aurait voulu avoir et n'a jamais obtenue.

Athénaïs, je suis en paix maintenant, et je te souhaite de l'être à ton tour. C'est plaisant, de se lever le cœur léger, d'embrasser ses enfants sans éprouver de douleur en son ventre ni de goût amer en sa bouche. Tout n'est pas encore parfait, je le sais. Le Chevalier est au loin et je ne sais quand je le reverrai, peut-être au printemps, mais peut-être plus tard, après mon remariage. La guerre me paraît si lointaine. Et je préfère ne pas me faire de faux espoirs.

Mais j'ai suffisamment ruminé, vécu enfermé, je veux être libre, retrouver la lumière du soleil, courir de fête en fête, aller voir toutes les pièces de Molière, dénicher des œuvres uniques qui complèteront ma collection et les ravir à mon frère sous les yeux de Colbert. Plus que tout je veux vous retrouver, je veux retrouver la joie de vivre. Pas celle qui était la mienne autrefois, teintée de crainte et d'anxiété, j'en veux une nouvelle, pleine d'espoir et de bonheurs simples.

Je suis célibataire, mon frère me remariera, je n'en doute point, mais les pourparlers prendront du temps. Alors je dois profiter de ces instants de liberté. Plus encore, je dois profiter de ces instants sans femme ni amant. Le Chevalier, Dieu seul sait combien je l'aime, ne quitte jamais mes pensées, mais, j'ai tendance à m'oublier quand il est là. Je ne l'avais réalisé avant cette longue absence. À présent, je peux profiter de ces instants de solitude pour me retrouver moi-même, voir quel homme je souhaite devenir sans subir nulle autre influence que la mienne, et peut-être, tes conseils avisés d'amie.

31 décembre 1670, Saint Cloud.

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