Lettre LIX, Du Chevalier à Monsieur.

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Comment dois-je réagir à tout cela ? Je ne sais plus ce que tu veux de moi. Que je me languisse de toi, que je sois malheureux comme les pierres ? Je l'ai été. Seulement, je ne voulais t'accabler, toi qui subissais déjà toutes ces tempêtes.

Durant des années, j'ai essayé de t'en protéger, Henriette le faisait également, à sa manière. Nous avons tous été là pour t'en préserver. Et nous avons fini par y prendre goût.

Rester loin des cris et de la foule c'est être abasourdi par le silence. Tu ne t'en rendais pas compte, tu restais toujours en arrière, à l'ombre de ton frère, de ton épouse et de tes amants. Tu ne t'exposais jamais, à raison. Tu n'es pas taillé pour cela. Nous si. Nous en sommes dépendants. Loin de ces tourments et agitations, nous sommes comme des épaves à la dérive, sans ancre pour nous stabiliser.

Si j'avais voulu t'en protéger, être à tes côtés, bien sûr. Comment peux-tu en douter ?

Si nous avions été heureux alors, j'en doute, mais peut-être aurions-nous mieux supporté ces souffrances, peut-être que nous aurions été un peu moins malheureux. Qu'en sais-je ?

Je ne puis affirmer qu'être loin de toi, loin de tout, m'a fait le moindre bien. Je ne puis dire qu'être en présence de mon frère et de Marie puisse compenser ton absence ni celle de la Cour. Même ton frère me manque, c'est te dire ! J'ai l'impression de remplir le vide avec ce que je peux, de m'amuser de choses idiotes dénuées de sens, d'attendre le moment où je te reverrai et où ma vie reprendra sens.

Je suis en absence, en attente. Ma vie est devenue une comédie, elle qui avait des aspects de tragédie. De cela, aussi, tu es tombé amoureux, n'est-ce pas ? Tu aimais tous ces drames autour de moi, de nous, d'Henriette. Tu goûtais à ces tourments autant qu'à ces moments de joie que nous pouvions avoir. Car l'on a oublié que tout n'était pas si terrible que cela, qu'il arrivait que nous riions jusqu'à en avoir mal aux côtes, que nos disputent avaient, la plupart du temps, l'allure de taquineries.

Nous étions les rois et les reines de toutes les fêtes, de tous les bals. Henriette, toi et moi. Nous étions solaires et lunaires à la fois, des paillettes d'or et des étoiles dans la nuit. La Cour doit être si triste et si ennuyeuse en notre absence. Souviens-toi qu'aucune fête n'était réussie si nous n'y étions. Tous les trois. Et nos disputes, nos éclats, c'est ce qui remplissait leur vie à tous ces idiots qui ne savent vivre sans nous.

Tout cela me manque terriblement, mais pas autant que toi. Comment peux-tu en douter, idiot ! Je t'aime et Marie n'est rien, Marie n'est qu'une aventure, qu'un passe-temps, qu'une manière nouvelle de tourmenter ton frère. Tu sais bien que c'est l'une de mes activités préférées. C'est ce qui m'a valu cet exil, en définitive.

Tu as raison, j'étais ivre de nos disputes, de nos ébats, de nos débats, j'étais ivre de nous, tel que nous étions, agités, tempétueux, dangereux.

Mais Henriette a disparu et je doute qu'aucune princesse au monde ne veuille la remplacer. Tenir le rôle qu'elle avait dans notre tragédie est délicat. Toi-même, tu es épuisé par tout cela. Je le comprends à tes mots, et peut-être le suis-je également ? Je n'ai eu cette réflexion si profonde que tu as à notre sujet ni cette volonté de changer ma vie. J'aimerais déjà la récupérer, retrouver mon existence, et cela ne se peut sans toi.

Alors, je suis prêt à tout accepter. Si tu me veux plein d'excès, je le serai. Si tu me préfères calme et discret, je tenterai de l'être, mais sache que je suis très mauvais à cela. Je n'ai pas le moindre talent dans la discrétion. Je crois que tu l'as déjà remarqué. Quant à contenter ton frère pour obtenir son pardon, je crois savoir comment m'en occuper. Tu n'as pas à t'en soucier. Je ferai ce qu'il faut, mon amour, pour te retrouver. Où que tu sois, qui que tu deviennes. Laisse-moi juste une place dans ta nouvelle vie.

14 août 1670, Rome

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant