Lettre LVI, de Monsieur au Chevalier.

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Le marquis a joué les intermédiaires à ta demande, et je dois reconnaître qu'il a raison sur un point : j'ai passé trop de temps tout seul, ne laissant ni lui ni Athénaïs me rassurer, me consoler, m'appuyer durant cette épreuve. Ce qui ne m'a nullement empêcher d'entendre les échos à ces affreuses rumeurs. Je ne leur en veux pas, en réalité, leurs lettres m'ont permit de savoir ce qu'il se trame à la Cour.

Mais peut-être qu'il aurait mieux valu que le silence soit complet.

Car en vérité, cette retraite à Reuil m'a fait le plus grand bien. Ce fut douloureux, d'être seul face à mes pensées, de constater qu'en dépit de tout ce que je peux dire ou faire, la Cour préférait Henriette à moi, à nous deux, et qu'en fin de compte, derrière les sourires se cachent plus de mépris et de haine que je ne le croyais.

Cependant, ouvrir les yeux m'était nécessaire.

Pas uniquement sur les courtisans et ces soi-disant amis, mais également sur mes relations avec mon frère. Je dépends de lui en tout, chacune de ses décisions liées à sa politique m'affecte au point que je tremble quand je le sais en cabinet sur un sujet pouvant me concerner. Je déteste qu'il me tienne au secret, mais je ne peux plus réagir au moindre de ses mouvements d'humeur.

Il n'y a pas qu'avec lui que je suis comme ça.

Avec toi aussi, je suis à fleur de peau. Ton silence m'a terriblement affecté, et ta colère plus encore. Et plus j'y songe, plus je me dis que tout ce qu'il s'est passé devrait nous pousser à changer. Je ne sais quel plaisir nous prenions à toutes ces disputes, ces éclats, ces éloignements, ces silences, ces bouderies et ces jeux sadiques avec Henriette, nous étions comme des enfants capricieux. Mais nous ne sommes plus des enfants, je suis père et veuf.

Je ne veux plus me comporter de cette manière, souffrir au point de ne plus supporter la présence d'amis pourtant fidèles de peur qu'ils me rapportent une nouvelle rumeur plus terrible que les autres. Ces dernières semaines ont été absolument infernales, je ne peux plus vivre ainsi. J'ai changé, Philippe, je ne suis plus le même homme qui n'élevait jamais la voix et pleurait en silence.

Il est indéniable que je vais me remarier, mon frère y songe déjà. Il m'a parlé de son idée que je trouve très prématurée. Dans quelques mois, une fois la période de deuil écoulée, nul doute que je serai marié, à une princesse ou peut-être à ma cousine, la Grande Demoiselle. Peu importe qui je devrai épouser, je souhaite que nous ayons tous des relations parfaitement cordiales et mesurées, que nous agissions en adultes et non plus en enfants.

Tout ce que j'entends provenir d'Italie m'inquiète. Je ne ferai plus le jaloux, je regrette les mots que j'ai eus la dernière fois, ils m'étaient inspirés par le dépit et la colère. Je comprends, tu es loin de tout, tu te sens rejeté, abandonné et Marie a éprouvé la même chose par le passé, peut-être le ressent-elle encore. Nul doute qu'elle en retire quelque chose, j'imagine sa revanche sur mon frère à travers toi et moi.

J'espère qu'elle ne pense pas que le Roi la rappellera auprès de lui en entendant le terrible récit de cette baignade. Je ne peux croire en cette prétendue chute dans une fontaine, mais en ton sauvetage, peut-être. Après tout, tu ne pouvais la laisser s'y noyer. Cependant, mon frère n'est pas plus idiot que je ne le suis et voit parfaitement sa manœuvre. Je ne ferai même pas l'effort d'en parler avec lui qui a bien d'autres sources d'inquiétudes.

Si je dois lui parler de quelque chose, ce sera plutôt de ton retour.

Tu n'en doutais pas, j'espère. Je n'ai jamais perdu cet espoir et à présent que j'ai entendu la proposition de mon frère, je sais que je pourrai négocier tout cela plus aisément. J'accepterai d'épouser qui il souhaite à la seule condition de ton retour. Celui-ci néanmoins ne pourra se faire sans que tu prennes toi aussi des précautions.

Tu n'as pas écouté mes consignes à propos du deuil, tu t'es conduit comme toujours en insouciant. Tu as profité tout ton saoul de l'Italie, te fichant bien de ce qu'on penserait de toi et de ton comportement en France. Toutes ces rumeurs se seraient tues si tu avais fait quelques efforts. Et je t'en veux, terriblement, de n'avoir suivi mes conseils.

Tout cela doit changer.

Nous deux.

Je ne veux plus craindre ainsi de te perdre, que tu risques la prison par un comportement idiot. Mon père a dû voir son favori pendu en place publique, je ne vivrai pas le même destin. Je veux ton bonheur, mais je veux le mien également. Soyons heureux ensemble ! Cessons de nous battre ainsi, c'est stupide et puéril.

Je te prie de te débarrasser de tous tes excès en Italie. Sois fou, sois audacieux, sois périlleux là-bas, fais ce qu'il te plaît, mais fais-le loin des regards et surtout, sans Marie qui a tout intérêt à ce que ces aventures remontent aux oreilles du Roi. Lorsque tu seras apaisé, calmé, comme je le suis à présent, reviens-moi. Et alors, nous pourrons être heureux. J'en suis persuadé.

Nos âmes et nos cœurs n'aspirent qu'à cela.

1er aout 1670, Saint Cloud

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant