Lettre XCI, de Monsieur au Roi.

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Mon frère, tu fais de moi l'homme le plus heureux du monde. Retrouver le chevalier est la pensée la plus plaisante qui me soit venue depuis des mois. Même si, après cette longue absence, j'ai le cœur noué d'angoisse que nous ayons changé, qu'il ait réalisé entre temps qu'il y avait plus charmante compagnie que la mienne. Mais ces doutes sont balayés en sachant que c'est mon épouse qui t'as demandé de le faire revenir.

N'ai-je pas la plus douce et délicate des épouses ? Elle ne l'est pas physiquement, mais moralement et n'est-ce pas la seule vraie délicatesse qui compte ? Elle nous a tous surpris par sa franchise, son honnêteté, et j'ai bien vu combien elle était désarçonnée par nos coutumes tout autant que nous l'étions par les siennes. Ses manières sont si délicieusement étrangères et rafraichissantes !

N'aie donc crainte que le retour du Chevalier ne brise ce doux bonheur que nous ressentons. Je n'ai cessé d'échanger des lettres avec lui, et je lui ai immédiatement parlé de mon épouse comme j'ai parlé du Chevalier à Liselotte. Je ne voulais aucun secret entre eux, et je les voudrais sincères amis. Je crois la chose possible. Ils partagent cet amour la franchise sans détour. Si le Chevalier est parfois provocateur, Liselotte est capable de beaucoup d'humour, si bien que je crois sincèrement qu'ils s'apprécieront.

Je voulais m'en assurer avant de te faire toute demande à ce sujet, aussi, je suis bien heureux que mon épouse l'ait fait à ma place. D'autant plus que cela signifie qu'elle aussi pense que nous pourrions être tous trois très bons amis. J'avais craint que ce soit difficile, après la mort d'Henriette, avec toutes ces affreuses rumeurs qui ne semblaient se taire. J'espère d'ailleurs qu'aucune n'arrivera aux oreilles de Liselotte avant qu'elle ne rencontre le Chevalier. Car quand elle le connaitra, elle saura, tout comme moi, qu'il ne peut avoir commis un acte aussi abominable !

Mais toutes ces peurs se sont dissipées quand tu me l'as annoncé. D'ailleurs, je dois m'excuser pour le geste que j'ai eu, j'étais si surpris... Me jeter ainsi à tes pieds, en pleurant de joie, ce ne fut pas digne d'un fils de France. Mais j'ai le cœur si empli de joie, je n'ai pu retenir cet élan venant de mon cœur. Je n'ai jamais cessé d'aimer le Chevalier, d'espérer son retour, mes sentiments pour lui ne se sont émoussés. Ils ont simplement évolué, comme les siens. Je sais à présent que nous serons deux hommes différents. Notre passion d'antan fleurira comme les jardins de Versailles au printemps.

Quant au Chevalier, sache qu'il n'a jamais quitté ton parti, qu'il t'est toujours demeuré loyal. S'il a aidé Marie c'est au nom de leur amitié, mais jamais il n'a cherché à te nuire, bien au contraire. Il la savait sous la coupe d'un époux dangereux et l'unique manière de le confondre était de le pousser à la faute. D'ailleurs, dès qu'il a appris son retour en France, il m'a confié tout cela, afin que je puisse t'en avertir, lui-même n'aurait pu le faire sans rompre sa promesse. Marie t'aime encore et espère que tu la reprennes auprès de toi.

Cet espoir ridicule doit être brisé avant qu'Athénaïs n'en entende parler. Mon amie n'est point jalouse, mais fière. Cette fierté la pousse parfois à avoir un comportement trop hardi qui la dessert. Évitons-lui cela, je te prie.

Bien sûr, le Chevalier et moi, n'avons qu'une hâte : rejoindre la campagne et renouer avec notre première rencontre, lorsque nous étions deux soldats se battant pour leur roi. Il est une fine épée et je suis heureux que tu l'aies nommé maréchal. Puis-je espérer qu'il soit dans ma troupe ? J'aimerais combattre à ses côtés. N'aie crainte que l'amour nous rende plus fragiles face à l'ennemi. C'est tout le contraire, il nous inspire le courage.

Mon cœur s'emplit de joie à présent, et il en tant gorgé qu'il me faut en déverser un peu, alors acceptes ces effusions de tendresse à ton égard. Nous avons pu nous disputer par le passé et j'ai pu être capricieux, parfois difficile et buté, je l'admets, mais je ne cesserai jamais de t'aimer. Tu es mon bien le plus précieux et j'ai conscience de ne pas assez te le dire. Je t'aime, Louis.

14 février 1672, Paris


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