Lettre XLI, de Monsieur au Chevalier.

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Mon tendre amour,

Je t'écris à la hâte, tremblant d'inquiétude. L'autopsie d'Henriette est en train d'avoir lieu, et la Cour toute entière est remplie d'affreuses et terribles rumeurs. Le plus inquiétant est l'attitude des ambassadeurs anglais à mon sujet. Ils n'ont dit mot devant moi, mais je suis certain qu'ils m'accusent de l'avoir tuée. Moi qui ne ferais de mal à une mouche, moi qui déteste la chasse et ne supporte de tuer inutilement, qui préfère songer à la stratégie et à soigner lorsque je suis en campagne militaire !

Heureusement, mon frère ne prête foi à ces horreurs qu'on raconte, mais je suis malade à l'idée que tout le royaume me croit coupable d'un pareil et terrible crime.

Nous n'étions pas un couple heureux, tu en as été le premier témoin. Tu sais comme nous passions notre temps à nous déchirer. Cela t'amusait, je crois. Moi non. J'aurais préféré que nous trouvassions un terrain d'entente. Les époux ne sont pas obligés de s'aimer, mais se déchirer de la sorte ? Même Athénaïs entretient des relations plus cordiales avec son époux qui pourtant est un homme infect  dépensant tout leur argent en jeu en l'accusant elle d'infamie !

Toi qui vivais avec nous, tu as été témoin des douleurs qui clouaient mon épouse au lit. Tu as entendu ses plaintes au sujet de son ventre. Cela fait des années qu'elle consultait des médecins à ce sujet sans qu'ils ne trouvent moyen de l'en délivrer. Combien de nuits l'ai-je trouvée se retournant de tout côté, gémissant, pleurant à moitié ? Combien de fois ai-je cru la perdre tant elle était mal et qu'aucun remède ne semblait fonctionner ?

Henriette était malade à en crever, mais tout le monde préférait l'ignorer. Toi, comme moi, comme le reste de la Cour savions au fond, que ce n'était qu'une question de temps, si horrible cela soit à dire, c'est pourtant la douloureuse vérité. Mais nous l'avons tue, nous avons préféré croire qu'elle se plaignait inutilement... et à présent, nous risquons d'en payer un très lourd tribut !

Car les Anglais n'en savent rien et nous accuseront de meurtre !

Qui sait ce qu'elle a pu lui dire dans ses lettres ? Durant ce mois auprès de son frère ? Elle a dû lui répéter les choses affreuses qu'on se jetait à la tête quand nous nous disputions et ces derniers temps nous n'avons fait que cela, nous disputer. J'étais si furieux qu'elle t'ait envoyé en exil. Car je sais enfin le fin mot de l'histoire, c'est bien elle qui a supplié Louis de t'envoyer au loin et Charles a appuyé ses suppliques. Rends-toi compte, ton exil faisait partie des négociations !

Quelle colère j'ai eue quand j'ai appris la chose !

J'ai alors dit des horreurs que je ne pensais pas. Je lui ai souhaité d'avoir la chaude pisse, de l'ai traitée de la pire des catins, j'ai eu des mots terribles et des mouvements de colère plus terribles encore. Je crains que quelques vases aient disparu de ma collection, brisés par les élans que j'avais. Mais je n'ai jamais tourné cette violence contre elle, Dieu m'en soit témoin.

Malheureusement, ses amis et son frère ont eu des échos de nos disputes et à présent, tous me voient comme le coupable idéal ! Les ambassadeurs ont exigé qu'une enquête soit menée et mon frère n'a eu d'autre choix que d'accéder à leur demande, avec mes encouragements. Je souhaite être lavé de tout soupçon, et ce, avant que les plus terribles rumeurs ne courent à mon sujet.

Je me moque bien que la Cour m'en croit coupable, ils passent d'une obsession à une autre, et chacun peut être la victime de ces ragots qu'ils adorent colporter. J'en sais quelque chose. Fut un temps, j'adorais en colporter particulièrement avec Athénaïs. Mais crois bien que cette histoire m'en dégoûte tout à fait et que plus jamais je ne me livrerai à cette odieuse occupation qu'à présent j'ai en horreur !

C'est pour l'honneur de la famille et de la France que je m'inquiète.

Je me plierai à toutes les questions, s'il le faut, je laisserai les hommes du Lieutenant général toucher à mes parures et à mes pierriers qui pourtant me sont si chères si cela peut me laver de tout soupçon. Je n'ai pas la moindre envie que mon beau-frère me croie capable de telles horreurs, pas plus que le reste de la France d'ailleurs !

Je prie pour qu'ils ne trouvent aucune trace de poison, mais au cas où un assassin envoyé par Guillaume d'Orange serait parvenu à se glisser en nos appartements, je te prie de porter le deuil afin de ne laisser aucun soupçon se poser sur toi aussi.

Tu es loin, il serait idiot de t'accuser de quoi que ce soit, mais mon beau-frère te déteste suffisamment pour avoir exigé ton exil. Je préfère que nous prenions nos précautions, toi et moi. Il m'en coûte tant de te demander cela, mon amour. Si je n'avais ces terribles craintes je ne le ferais, mais je t'en prie, feins que ce décès te transperce le cœur, d'en être mortifié, n'aies que des mots doux à son sujet en public.

Songe qu'à présent, le moindre de nos actes et paroles sera examiné avec soin,  ils ont si hâte de faire de nous un couple d'assassins ! Paris était déjà remplie d'alchimistes faisant des potions funestes et l'on raconte que bon nombre de nobles s'empoisonnent pour hériter plus rapidement. J'ai bien peur que cette atmosphère meurtrière ne finisse par nous atteindre à notre tour, et qu'ils conçoivent le pire portrait de nous deux.

Alors je t'en conjure porte le noir, drape toi de tristesse, en apparence du moins. Si pour toi sa mort t'a apporté en premier lieu un soulagement à l'idée qu'elle ne pourra plus s'interposer entre nous deux, t'envoyer en exil, n'oublie pas que les morts sont honorés, parfois même sacralisés particulièrement lorsqu'ils meurent d'une manière aussi terrible et si jeunes. Alors je t'en supplie, de toute mon âme, de tout mon cœur, sois sage et discret, sois tout ce que tu n'es jamais, ou si difficilement.

Plus que jamais, il faut que tu te fasses oublier, ne fais aucun éclat, je t'en supplie.

Laisse s'écouler le temps du deuil, le temps qu'ils l'oublient, qu'ils passent tous à autre chose.

Cache ta joie et ton soulagement au plus profond de toi-même. Écris-les-moi. Je serai ton confident, à défaut d'être ton amant durant toute cette déchirante absence. Laissons les mots parler pour nous, et gardons nos lèvres closes, ayons l'air aussi morts et décomposés qu'elle. Pour moi, il n'y aura pas grand-chose à singer. En ton absence, je me sens si vide et si creux.

Je crois que la colère que j'avais pour elle, que nos sempiternels disputes et éclats m'animaient, mais à présent, je n'ai plus rien, que des larmes à verser et des lettres à écrire.

3 juillet 1670, Saint Cloud

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant