Lettre LV, d'Effiat à Monsieur.

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Pardonnez-moi Philippe, je déteste jouer les intermédiaires entre vous deux, mais le Chevalier ne voulait vous répondre. Il m'a conté qu'il était bien trop en colère encore, qu'il n'aurait que des mots méchants et ne désirait vous causer plus de peine. Vous le connaissez, vous savez comme il est, impétueux, caractériel, et incapable de taire ses sentiments, particulièrement les plus virulents.

Alors le voilà à vous offrir le silence à vos prières, à répondre par des billets pleins de fureur et d'éclat, à se comporter comme il le fait avec Marie de Mancini. J'en suis tellement désolé, si je pouvais l'empêcher d'agir ainsi, je le ferais. Mais le Chevalier est tel qu'il est, et nous l'aimons ainsi. Il a besoin de laisser la colère éclater, afin de vous revenir, plus tendre et plus aimant que jamais.

Tout ce qu'il se passe avec Marie n'a aucune espèce de valeur à ses yeux, j'en suis persuadé. Je suis son ami autant que le vôtre, et je connais un peu Marie à travers son frère. Elle ne songe qu'à ce qu'elle a perdu : au Roi, au titre de Reine qu'elle aurait pu avoir. Aussi impossible que cela soit, elle ne cesse d'y songer, particulièrement en ce moment. Toutes ces aventures italiennes nous parvenant ne sont qu'une tentative désespérée d'attirer l'attention du Roi.

Le Chevalier s'amuse seulement de son comportement. Oui, il cherche à vous punir en vous rendant jaloux, tout autant qu'embêter votre frère. Il a le goût des esclandres, des scandales, il n'adore rien de plus qu'un nouveau drame secouant la Cour. Et ne pouvant plus avoir accès aux rumeurs, aux jeux de pouvoir et aux conflits agitant les courtisans, il use de Marie. Mais ce n'est qu'un divertissement pour lui. Il ne l'a même pas mise en sa couche, c'est dire !

Je vous assure que vous n'avez aucune crainte à avoir à son sujet, que le Chevalier n'a jamais autant songé à vous. Il n'a pas d'amants en Italie, je ne doute pas qu'il ait réussi à séduire quelques jeunes garçons, mais aucun ne semble avoir retenu son attention. De cela j'en suis certain. Il me conte qu'il a perdu le goût de ce genre d'aventures, qu'il n'a envie de rien. Je vous vois aussi malheureux que lui paraisse l'être.

Il n'y a personne d'autre que vous-même, mon Prince, dans ses pensées. Son comportement vous a donné des raisons de douter de son attachement envers votre personne, mais ce n'était que dans le but de vous rendre jaloux. Même s'il a agi avec maladresse, c'était à vous qu'il songeait en cette fontaine où il y a rattraper Marie.

Croyez-moi, même vos questionnements sur lui et moi n'ont pu atteindre cet amour-là.

Quant à moi, je vous ai déjà dit que ces prétendues accusations étaient ridicules ! Le Chevalier ne m'a fait parvenir que des parfums, des étoffes, et des vins. D'ailleurs, je vous ai transmis la plupart de ses envois. Je ne vous en veux d'avoir douté de nous. Toutes ces langues pleines de fiel connaissaient l'état de douleur qui était le vôtre et en ont profité pour tenter de vous séparer, Chevalier et vous. Votre couple les a toujours dérangés.

Monsieur, si vous me permettez, je pense même que votre personne les dérange. Vous avez un caractère en apparence tendre, mais votre volonté est tout aussi ferme que celle de votre frère. De plus, vous êtes loyal au Roi alors même que vous êtes capables de le critiquer et surtout, les critiquer eux. Vous êtes celui qui les a disciplinés avec l'Étiquette. Le fait de vous voir si extravaguant, en ces parures féminines, sous l'œil de votre frère qui n'a que de l'affection pour vous les rend dingues de jalousie et d'envies. Ils feraient tout pour vous nuire parce que vous ne leur offrirez jamais ce qu'ils désirent.

Le Chevalier sait tout cela, laissez le temps à sa colère de se dissiper.

Quant à vous, mon Prince, mettez fin à votre retraite. Je ne vous conseillerai pas de revenir à la Cour, entendre ces terribles racontars sera toujours douloureux. Cela l'est pour moi qui pourtant ne m'offusque pas si aisément. Acceptez simplement la présence d'amis à vos côtés. Celle d'Athénaïs qui ne cesse de me demander de vos nouvelles, de votre cousine que j'ai vue tantôt et me disais avoir besoin de vous voir ou encore de moi-même qui serais ravi de vous divertir à nouveau. Je voudrais vous conter de tout ce que le Chevalier fait et ce qu'il visite comme ces incroyables Églises, ces ateliers d'artistes, ces fêtes fabuleuses où il aimerait tant vous emmener.

Vous avez suffisamment passé de temps tout seul. Laissez-nous faire notre travail d'amis et prendre soin de vous comme vous avez pris soin de nous durant toutes ces années.

27 juillet 1670, Versailles


A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant