Lettre III, de Monsieur à son frère, le Roi.

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« ...Partir en Angleterre. »

Les mots du Chevalier m'ont rempli d'effroi. Je ne sais pourquoi. C'est qu'il me dit des choses terribles en me regardant dans les yeux, guettant ma réaction. C'est odieux car il n'ignore rien des tourments qui m'agitent, il y a là tant de sadisme et de malice. Durant quelques secondes qui me font l'effet d'éternité, il me glace de l'intérieur, avec ses paroles qui ne cherchent qu'à me fustiger, et puis, il a comme une moue boudeuse, son visage entier change, mobile, terrible, et il passe à autre, chose, un sourire chasse l'ignoble instant.

Et moi je reste figé, comme une biche terrifiée entendant les cors de la chasse résonner.

Pendant qu'il s'extasie sur les jardins en piochant allègrement dans les macarons de la veille et la corbeille de fruit, parlant à présent de tout autre chose, badinant comme lui seul sait le faire, ignorant tout de l'agitation qui perdure en moi ou du moins feignant de l'ignorer, moi je n'arrive à apaiser le tourment qui agite mes pensées.

Mon épouse loin de moi, en Angleterre, je devrais m'en réjouir. Mais je sais parfaitement qu'une telle visite si elle est secrète n'a rien d'innocent. Tu ne l'enverrais là-bas sans une raison politique, je ne te connais que trop bien. Pourquoi elle ? Tu as tant de ministres, courtisans, ayant des liens avec l'Angleterre, certes pas aussi fort que ceux d'Henriette. Je ne comprends pourquoi, surtout, tu ne m'en as rien dit.

Est-ce la raison de tant de rencontres entre vous deux ? Tu as passé ces dernières semaines tant de temps avec elle, j'ai vu la quantité de lettres qu'elle t'envoie, et je crois bien qu'aucune d'elles ne m'est profitable. Crois-tu que j'ignores ce qu'elle dit dans mon dos ? Les bruits affreux qu'elle répand à mon sujet et plus encore au sujet du Chevalier ? Je le sais bien, qu'ils se détestent tous deux. Et crois bien que je sais que le Chevalier ne m'a dit cela que pour exciter ma jalousie.

C'est une chose que je ne comprendrais jamais. Pourquoi mon amant s'attache autant à me rendre jaloux de ma femme alors que tout ce que je souhaite c'est passer du temps avec lui plutôt qu'avec elle ! Il aurait tout avantage à me la faire oublier, non ? Je n'ai jamais compris leur attachement à se porter de si terribles coups, à user de leurs amis, courtisans respectifs afin de faire courir les pires rumeurs l'un sur l'autre, de comploter pour faire déchoir l'autre auprès de toi, de moi, sans d'ailleurs le moindre succès. Le Chevalier ne perdra jamais mon estime, je l'aime trop pour ne pas lui pardonner tous ses errements, et toi, c'est à elle que tu pardonnes tout.

Tu lui as toujours attaché ton amitié, peu importait mon cœur que tu brisais au passage. Te rappelle-tu comment tu as été ? Quand tu as laissé toutes ces ignobles calomnies circuler à votre sujet ? Tu disais que ce n'était que des rumeurs, que je ne devais y prêter attention, que j'avais pléthore d'amants, et que de toute façon, je n'aimais ma femme. C'était faux. A l'époque, c'était faux. Aujourd'hui, je ne sais plus, aujourd'hui, lui seul compte. C'est lui qui fait vibrer mon âme, mon cœur, qui m'emporte, me fait vaciller. Elle, elle m'indiffère. C'est terrible à dire, mais les choses en sont ainsi.

Je n'ai jamais compris pourquoi tu la regarde ainsi, pourquoi tous la regardent ainsi, comme si elle était la septième merveille ! Je ne sais quel charme elle possède, et parfois je me demande si ce n'est pas une sorcière tant elle t'ensorcelle comme elle a ensorcelé le reste de la cour ! Pourquoi ne vois-tu pas qu'elle est pareil à De Guiche que tu détestais tant et que tu as envoyé en exil, loin de moi, loin d'elle, surtout. Qu'elle ne vaut pas mieux que le Chevalier de Lorraine qu'elle fustige, auprès de toi, comme du reste de la cour ?

Tu crois que j'ignore ce qu'elle te dit au long de ces longues lettres qu'elle t'envoie, ce qu'elle raconte à ses dames comme à ses courtisans ? Elle trace le pire des portraits de ma personne et pire encore de celle de mon Chevalier. A cause d'elle, nous nous sommes brouillés, toi et moi, à cause d'elle tu as cessé d'accorder ta confiance au Chevalier qui pourtant t'as prouvé sa valeur au combat comme à l'espionnage ! A force de l'écouter, tu as laissé de la distance se creuser entre nous. C'est ça qui me blesse au fond.

Que tu lui pardonne toujours tout, et jamais au Chevalier ou encore à moi !

Pourquoi me fais-tu cela mon cher frère ? Tu ne peux ignorer les tourments que j'ai enduré à cause de vous. J'ai été couvert de ridicule par vos amours de jeunesse et à présent, ces rendez-vous secrets, ce voyage dont je ne sais rien ? Pourquoi aimes-tu tant me torturer ? Pourquoi vous tous aimez tant me mettre le cœur en sang ? Que vous ais-je fait ?

J'ai supporté bien trop longtemps cette amitié que vous avez l'un pour l'autre, je ne le supporterais pas plus longtemps. J'ignores les raisons de ce voyage mais je refuse que mon épouse aille en Angleterre sans moi. Je ne supporterais pas cette humiliation supplémentaire ! Je refuse que ma femme parte pour l'Angleterre, tu m'entends ? Que dirait la Cour, notre famille, les Cour voisines et surtout, mon beau-frère, Charles II ?

Et de quoi j'aurais l'air en laissant partir mon épouse seule sur ces routes dangereuses. Tu sais bien qu'elle est de constitution fragile, un pareil voyage ça pourrait la tuer. Je t'en prie, Louis, écoute-moi. Si ce n'est par amour pour moi, fais-le pour elle. Tu ne vois pas sa santé fragile comme tu ne vois ses défauts, à tes yeux, elle a cessé d'être les Os des Innocents, pourtant, elle est restée cette femme fragile, elle a la peau sur les os, elle mange à peine, se plaint continuellement de douleurs, et elle est sans cesse malade.

Ce n'est pas son train de vie qui l'aide en cela. Toujours à faire la fête, à ne pas dormir de la nuit, à enchaîner les amants et les conquêtes. Oh j'ai l'air jaloux en disant cela, mais nous avons trouvé notre équilibre, elle et moi.

Tant qu'elle ne touche au Chevalier, elle peut bien se faire qui elle veut ! Je sais qu'il en passe dans sa chambre, mais tant qu'elle ne te touche pas, ni mon favori, elle peut bien être la reine des succubes ! Je m'en moque. Je fais pareil. Puisqu'il n'y a que cela qui compte, et qu'en cette cour, il faut être adultère, alors j'ai moi aussi une myriade de mignons à mes pieds. Et je dois bien l'avouer, si c'était au début pour la rendre jalouse, aujourd'hui, c'est pour le rendre jaloux, lui. Le Chevalier.

Je reviens toujours à lui.

Il est là, à mes côtés, parcourant les tissus que le marchand nous propose, bientôt, il me demandera de faire venir la couturière. Il me parle de la mode italienne, de ce qu'il se fait à Londres, à Rome, tu le verrais, s'extasier sur tout. Il a déjà oublié la bombe qu'il a lâché en rentrant. J'en ai encore l'estomac tout retourné, t'écrivant la main tremblante, sachant que jamais je n'aurais le courage de te dire tout cela de vive voix.

Face à toi, je suis comme face à lui, sans voix, je n'ai jamais su te faire comprendre ce que je voulais, ce dont j'avais besoin, avec lui c'est pire encore. Mon cœur se tort à l'idée que le moindre de mes mots le fasse fuir, le pousse à me quitter. Il est si aimé, de tous. Comme elle. Comme toi. Vous êtes tous si beaux, si lumineux, si charmant en toute occasion, tout ce que vous faites-vous fait briller de mille feux. J'ai l'air si fade en comparaison.

Lui ne m'accorde aucun regard, des heures durant, et puis, quand l'envie lui vient de commander de nouvelles chaussures, d'aller au bal, au spectacle, il vient à moi avec ses grands yeux, ses caresses et ses baisers, ses mots doux pour me convaincre.

Le Chevalier a enfin choisi ses tissus pour de nouveaux souliers, il revint vers moi, le sourire aux lèvres, ses cheveux blonds tombant en cascade, encadrant son visage d'ange, ses lèvres roses, l'air amoureux, il m'embrasse et me dit que tout ira bien, qu'il faut seulement que nous parlions toi et moi. Si c'est cela qu'il faut, je viendrais à Versailles t'entretenir sur le sujet mais je te préviens Louis, si tu refuses, j'écouterais le Chevalier et j'irais à Villers-Cotterêts et tu ne me verras plus en ta Cour !

25 janvier 1670, Saint Cloud.

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