Lettre IX, du Roi à Monsieur.

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Philippe, je te prie de revenir au plus vite à la Cour. Ton attitude est ridicule, partir ainsi, sous le coup de la colère, alors que tous les yeux de l'Europe se braquent sur toi et chacun de tes mouvements. Moi je connais ton cœur et tes mouvements d'humeur, mais nos voisins ne voient que les fantômes de notre père et de notre oncle. Toi qui a tant haït ce dernier veux-tu vraiment suivre ses traces ?

Je connais ton cœur, mon frère, je sais que tu ne veux pas créer de crise politique majeur mais en faisant ainsi, c'est le risque que tu nous fait encourir à tous. Regarde comment chacun s'agite à présent et craint la suite ! Chacun de nos mouvements sont constamment observés, détaillés et interprétés, tu le sais pourtant, je te l'ai suffisamment répéter. Partir ainsi, plein de fureur, nous prête le flanc à nos ennemis. Je te prie de bien vouloir considérer cela dans tes prochaines actions.

J'entends tes mots, les cris de ton cœur en agonie, je perçois tes soupirs et tes pleurs, me crois-tu sans cœur ? Je perçois la force de tes sentiments l'égard du Chevalier mais je crains qu'ils ne fassent parti du problème que je dois me résoudre à régler, aussi douloureux cela soit-il pour toi et pour moi. Parce que tu l'aimes, tu es aveugle à ses errements, parce que tu le chéris tant et crains tant qu'il ne te quitte, tu ne lui refuses rien, et ignore tout de ses erreurs, de ses caprices et de ses gestes qui te causent plus de tort qu' à moi.

Je t'aime petit frère, je t'ai toujours aimé, mon féfé. Et c'est parce que je t'aime que j'agis ainsi. Je ne peux te laisser continuer ainsi. Tu as toujours été si influençable, le jouet de tes sentiments, de tes émotions et des élancements de ton cœur. C'est ce qui te rend si bon, si doux, ce que j'admire tant chez toi, cette capacité à ressentir, à laisser tes émotions te guider, mais aussi charmant que cela puisse être à cet instant, cela joue contre toi.

En vérité, je crains que tu n'agisses contre toute raison depuis que tu es tombé sous le charme du Chevalier. Au moins, De Guiche affichait son caractère retord de telle sorte que, tu t'es vite détaché de lui. Mais je doute que le Chevalier le soit volontairement. Il t'aime, sans doute, je ne connais ses sentiments à ton égard mais il s'est manifestement attaché à toi. Cependant, il n'est guère de bon exemple pour toi. Il ne songe jamais aux conséquences de ses actes, agit avec la plus grande immaturité et n'entends rien à la politique.

Toi qui as pourtant le savoir, la sagesse, l'intelligence perd toute raison avec lui. J'en tiens pour preuve ton comportement de ces derniers jours, depuis son arrestation. Et même auparavant ! Toutes ces cabales, ces éclats avec Henriette et lui, tu as laissé tout cela se produire, continuer, par manque de volonté de t'imposer. Et à présent que je prends des actions pour éviter le pire, tu te cabre et t'emporte contre moi qui pourtant tente d'apaiser la situation devenue explosive. Ne vois-tu donc pas comment est ta maison ? Tant en désordre, tant agitée, où chacun va, malheureux, et le cœur lourd ?

Prends cette arrestation comme une pause nécessaire dans votre relation qui vous fera le plus grand bien. Profites-en donc pour te rapprocher de ton épouse. Henriette n'est pas aussi méchante que tu le crois, elle ne te hais point, elle est comme toi, ne sachant comment s'y prendre avec ce mariage qui vous rend aussi malheureux l'un que l'autre. Je ne sais que trop bien ce que c'est. Mais si tu ne fais pas un minimum d'effort, pour te rapprocher d'elle, te faire pardonner, tu n'en souffriras que plus. Je te l'assures. J'ai fait la paix avec ma femme, j'ai réussi à sécher ses larmes et nous sommes heureux à présent.

Tu ne l'aimeras jamais comme tu aimes le Chevalier, j'en sais quelque chose. Mais tu dois faire la paix avec ton épouse, et lorsque cela sera fait, j'envisagerais alors de te le rendre.

Je te prie de ne point tenir rigueur à ton épouse pour l'éloignement de ton amant, j'en suis la seule et unique cause. Ces abbayes que tu m'as réclamé pour lui, ce secret qu'il a trahi, tout ceci a été un déclic, j'ai compris qu'il n'y avait qu'une seule manière de rétablir la paix en ta maison et l'ordre en ma Cour. J'ai laissé bien trop longtemps ces agitations secouer notre famille, cru que tu finirais par y mettre bon ordre, mais les années passaient et les choses empiraient.

Sois raisonnable je t'en conjure. Tout ceci m'est aussi douloureux que ce l'est pour toi. Je connais ton cœur, mon frère, s'agitant si vite, s'emportant et retombant tout aussi vite. Pardonne ma décision qui t'es si douloureuse et entends ce que je te dis. La seule manière de le faire revenir est d'agir avec plus de raison, alors je t'en conjure, reviens à la Cour et fais tes excuses publiquement.

5 février 1670, Saint Germain.

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