Lettre L, de Monsieur au Roi.

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Mon cher frère,

Je ne suis pas sorti du château. Je m'y suis cloîtré dès que le corps de ma défunte épouse a été refermé. J'ai même refusé de venir à l'enterrement. Tu es le seul qui a compris que je n'aurais eu la force de supporter leurs regards ni leurs messes basses. Plus encore, je n'aurais supporté la présence des ambassadeurs anglais. Charles II, mon beau-frère refuse toujours de lire mes lettres que je lui envoie alors que son peuple se rassemble en place publique pour demander ma tête !

Même si je sais que tu ne la leur offriras jamais, tout cela me blesse terriblement. Je souffre de ce qu'on dit, pense de moi, que ce soit en France comme en Angleterre.

Je devrais m'estimer chanceux, de n'être plus qualifié d'empoissonneur par la Cour, me contenter de cette petite victoire que je te dois. Bien sûr c'est Colbert qui s'est assuré de transmettre la chose. Je le reconnais bien là, toujours à jouer finement même dans les affaires de l'intime. Toi et Colbert avez cette intelligence que j'envie. Je manque d'assurance, j'hésite, je n'ose. Il n'y a que pour te défendre que je sors les griffes. Pas même pour le Chevalier. Encore moins pour moi.

Quel homme je fais, quel amant terrible ! Je ne suis pas capable de sauver sa réputation ni de le faire revenir ici.

Ne te tracasse pas, je sais bien que la chose est impossible. Ce n'est point ce que je veux te demander, le ramener maintenant serait une terrible erreur. J'en ai pris conscience en entendant ces terribles choses qu'on raconte à son sujet. S'il paraissait maintenant en la Cour, je crains bien que les amis d'Henriette exigeraient sa tête ou s'occuperaient eux-mêmes de son châtiment ! Pour rien au monde je ne veux qu'une telle chose se produise. Il m'est déjà difficile de supporter ces accusations mensongères à son sujet.

Pour l'amour de moi, ne peux-tu rien faire à ce sujet ? Tu as réussi à m'innocenter et tout le monde t'a écouté en la Cour. J'aurais aimé que tes mots portent au-delà de la Manche jusqu'aux oreilles de Charles II. Je sais bien ce que tu penses du Chevalier mais tu m'as dit croire en son innocence, si tu partageais ce point de vue, je suis certain que nombreux d'écouteraient et te suivraient !

Songe au fait que s'il est considéré comme son meurtrier, cela portera préjudice autant à toi qu'à la France !

Pour commencer, il est mon favoris, il est l'un de tes sujets et a été en ta Cour pendant des années. De plus, il a combattu pour toi, et sa famille est de tes alliés de longue date. Peux-tu laisser ainsi salir la réputation d'un allié alors même que tu en cherches de nouveaux pour conquérir la Hollande ?

Certes, tu as besoin de l'Angleterre à tes côtés, je le sais bien et ne dirais rien contre cette alliance que j'ai encouragée. Ce n'a jamais été ton plan que je remettais en question simplement ton choix d'ambassadeur ! Mais tu ne peux tisser cette alliance au prix de celle avec la Lorraine ! Il est impensable que tu te fasse ennemi du Chevalier et de sa famille, particulièrement en cet instant !

Ce n'est donc pas uniquement pour me plaire que tu devrais blanchir sa réputation, c'est également pour ta future campagne. Sans la famille du Chevalier, il te sera impossible de franchir ce territoire qui te sépare de la Hollande et ces protestants qui impriment tous ces quolibets et autres horreurs à notre sujet. Ne crois-tu pas que moi et le Chevalier ne voulions les faire taire, nous en somme les victimes tout autant que toi et Athénaïs !

Eux aussi relaient ces accusations mensongères et si les Anglais continuent de me croire coupable, c'est certainement par leur faute. Qui d'autre a intérêt à faire de moi le meurtrier d'Henriette si ce n'est précisément ceux qu'elle a privés d'alliés et isolés ? C'est eux tes ennemis, mon frère, ce n'est ni moi ni le Chevalier. Je te prie de m'écouter et d'agir par conséquent.

Je sais que rien ne vous est impossible, à toi et à Colbert. Vous savez si bien vous y prendre pour changer l'opinion publique ! Vous avez ce don incroyable pour convaincre. Comme tu l'as fait pour Versailles où personne ne voulait vivre en ces marécages et à présent, des nobles commencent à construire leurs demeures autour de ton palais ! Ton rêve auquel personne, pas même moi, ne prêtait foi est en train de prendre vie. Je t'admire pour cela. Tu es vraiment le Roi Soleil quand tu réussis ainsi à rendre l'impossible possible.

9 juillet 1670, Reuil


A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant