Lettre XXX de Monsieur à Athénaïs.

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Personne n'était là pour l'accueillir à son retour, ni moi ni le Roi. Je ne sais si je te dois cette petite victoire, que mon frère n'ait point accouru à sa rencontre pour la féliciter de cet accord, mais je me réjouis de ce camouflet qu'elle a reçu. Je ne peux le dire à ma cousine sans qu'elle me traite de méchant homme et je dois bien admettre que rien ne me fait plus de plaisir que d'infliger à mon épouse de petites, mais cuisantes humiliations pour compenser un peu toutes celles qu'elle m'inflige.

Ma cousine me pousse à parler avec Henriette de nos souffrances respectives. Elle pense pouvoir nous guérir du mal dont nous sommes atteints. Elle n'est pas la première ni la dernière à essayer. Même mon frère a fini par renoncer ! J'ai eu droit à une lettre d'excuse de sa part, et je crois bien avoir été assez méchant dans ma réponse d'ailleurs. Je l'ai été aussi avec toi, et je m'en excuse. Je ne voulais pas insinuer que tu ne puisses continuer à être mon amie en étant sa maîtresse, mais il est vrai qu'à cet instant je le pensais.

J'étais seul à Calais, accablé, humilié par les ambassadeurs et nobles anglais venus chercher mon épouse qui me traitaient comme si j'étais une chose gênante dont il fallait au plus vite oublier la présence. J'ai été cruel envers tout le monde. Vous criblant tous de reproches alors que j'aurais dû tout d'abord me les adresser à moi-même. C'est moi qui ai insisté pour l'attendre à Calais, trop en colère pour vouloir revenir à la Cour. Je pensais que tout le monde se moquerait de moi, et je crois bien que je ne l'aurais supporté.

Il est vrai que j'ai oublié mes amis, mes soutiens, mes alliés. Toi, le marquis d'Effiat, la Grande Mademoiselle, et même mon frère. Même lui ne m'a jamais fait l'affront de ses moqueries, au contraire, il m'a toujours consolé. De son amour, je ne puis douter, pas plus que du vôtre, mon amie. Et je m'excuse d'avoir été injuste envers vous deux.

Je suis bien aise d'être à la Cour à nouveau, mais je crois bien que dès qu'Henriette rentrera nous nous retirons à Saint-Cloud. Ne m'en veux pas, ce n'est point une nouvelle fuite. Je ne supporterai pas très longtemps les célébrations que mon frère donnera pour la réussite de mon épouse. Etant donné les circonstances douloureuses de celle-ci, je risque fort de m'emporter et de faire un esclandre. Je préfère éviter tout cela et me retirer à Saint-Cloud, avec elle, évidemment.

Essaie de faire comprendre à mon frère que je suis véritablement épuisé par tous ces stratagèmes, les siens comme ceux de mon épouse. Je n'en puis plus de leurs camouflets puis de leurs excuses qui ne tiendront même pas une quinzaine de jours. Je les connais, mon frère dit m'aimer, mais aucun geste ne suit ses douces paroles. Le Chevalier demeure absent, et mon cœur se creuse. J'ai peur de ne n'avoir plus le goût d'aimer personne si cela continue ainsi.

Ne plus l'avoir à mes côtés, c'est comme de ne plus savoir ce que c'est l'amour, le bonheur, de ne plus savoir comment faire pour être heureux, sourire, rire, ressentir quelque chose d'autre que le vide abyssal et cette sensation d'être toujours entrainé plus loin dans la douleur et la tristesse. Si je suis devenu ainsi cruel et méchant, c'est de sa faute. En éloignant le Chevalier de moi il a éloigné toute lumière de moi, tout espoir, tout désir, toute envie d'être heureux et que les autres le soient.

C'est terrible l'amour, combien il nous transforme en monstre lorsqu'il s'en va. Mon cœur continue de saigner sans que je ne puisse rien faire pour en diminuer l'hémorragie. Je n'ai même plus la force de feindre que tout va bien. Je n'arriverai même pas à sourire dans les soirées que mon frère organisera pour célébrer ce traité. Tente de lui faire comprendre, je te prie. Pour l'amour de nous tous.

15 juin 1670, Paris.

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