Lettre XXXI de Monsieur au Roi.

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Mon épouse m'est enfin revenue, mais point le Chevalier.

Je t'en supplie, laisse-le revenir à mes côtés.

Je ne crierai plus, je ne ferai plus aucun scandale, je ne t'enlèverai plus ta chère Henriette, je vous laisserai tous les deux si vous le désirez, je ne la rendrai plus malade avec mes crises de jalousie, je serai le plus doux et le plus loyal des petits frères, le plus tendre et le plus courtois des époux. Ne t'ai-je pas montré la plus grande loyauté, la plus grande soumission, la plus grande obéissance ? N'ai-je pas été le plus dévoué des frères ?

Je sais que le Chevalier te déplait, ne le nie pas je t'en prie. Si l'exil n'avait été que pour faire plaisir à Henriette ou à son frère, il serait déjà de retour. Mon épouse est revenue et tu n'es point venu l'accueillir à Dunkerque. Ce qui me pousse à croire que tu as obtenu d'elle ce que tu voulais et n'as plus de raison de la flatter outre mesure. Quant à Charles II, il a signé le traité, il ne te trahirait pour si peu de raisons, j'en suis certain.

C'est donc le Chevalier en lui-même qui te dérange et je crois savoir pourquoi.

Tu as peur qu'il entache ma réputation déjà peu glorieuse. Tu ne vois et n'entends que le pire à son sujet : ces nuits de folies à Paris, à courir les tavernes et les bordels, à aller d'Opéra en bals, en des soirées plus intimes chez des amis. Ses amis n'ont pas une meilleure réputation que la sienne, je le crains. Mais aucun d'eux ne saurait te menacer, comme tu le crains. Ce sont d'incroyables vantards, de minables sacripants qui ne sont en aucun cas une menace ni pour toi ni moi d'ailleurs.

Nous rions tant à leurs dépens.

Oh, je sais bien que le Chevalier les aime, pas uniquement parce qu'il s'encanaille en leur présence, s'enivre de leur vulgarité qui ne le rend que plus princier, mais parce qu'il est vraiment attaché à cette camaraderie qu'on ne trouve qu'en ces tavernes ou sur les champs de bataille. Tu ne sais plus ce que c'est, tu ne l'as connu qu'un bref instant, quand tu n'étais qu'un enfant qu'on envoyait comme un étendard devant l'armée afin de motiver les troupes. Quand aujourd'hui, tu pars au combat, tu es considéré comme le Roi, bien au-delà de la mêlée et je doute qu'un seul soldat ne puisse te parler, te toucher.

D'accord, je suis mesquin en te disant cela, je sais bien que tu t'es toujours attaché à rester proche de tes sujets, et combien tu aimes connaître leur avis, mais ce n'est qu'à visée politique. Tu souhaites savoir ce que tes sujets pensent de toi, si tes choix leur conviennent, si ta politique est acceptée, peut-être parfois même te soucies-tu réellement de leur bien-être. Mais tu n'as jamais écouté l'un d'eux plaider sa cause puis devoir la plaider à ton tour au Roi et y rencontrer de la résistance. Un claquement de doigts te suffit, et tu n'as même pas besoin de revoir le pauvre manant que tu auras ainsi aidé. Il n'aura été qu'un mirage dans ta vie.

Qui suis-je pour te donner des leçons ?

Certes, j'ai plaidé quelques causes auprès de toi et de tes ministres. Certes, je me suis toujours attaché à ce que mes serviteurs se sentent à leur aise et ne soient brimés — je déteste ces maîtres qui jouent du bâton sur le dos de leurs laquais. Mais je ne vais pas plus que toi dans ces maisons délabrées, ces villages soumis à la famine et à la misère. Nous avons connu tout cela enfant, peut-être trop. À présent, nous vivons dans le luxe, toi et moi, si éloignés de ce que vit le commun de tes sujets.

Mais je m'égare.

Le Chevalier ne connaît pas plus la misère du peuple français, seulement en ces tavernes, auprès de ses amis soldats, souvent de la petite noblesse. Il me paraît simple, si éloigné de ce dandy impeccable que j'ai toujours vu en ta Cour. Ivre, il devient aventurier, doté d'un courage dont la nature change quand il se pavane au milieu des courtisans à raconter ces horreurs pour se faire bien voir. Si tu savais comme je déteste quand il fait cela. Il n'en pense pas un mot, je te le jure, il n'a rien d'un Frondeur, mais il aime se faire voir, se faire admirer, il aime passionner.

Voilà donc quel est ton intrigant !

Crois-tu seulement que j'accepterais en ma couche quelqu'un qui te trahirait éhontément ? Je t'assure qu'il n'a rien du traître que tes ministres te dépeignent. Il est fanfaron, il aime briller et il est parfois vulgaire, je te le concède, il ne sait choisir ses amis, et il aime flirter avec le danger, mais n'en voit les conséquences et donc, ne les redoute pas. C'est tout ce qu'il est ! Un acteur qui comme toi et moi, joue la comédie. Quand moi je joue les époux fidèles, les frères fragiles et ignorants, lui joue les amuseurs taquins, un brin provocateur.

Comment dois-je te le dire ? Je te promets que tu n'as rien à redouter de lui. Ni de moi d'ailleurs. Je t'écris ces mots, parfois encore un peu virulents, et je m'en excuse, mais je te supplie de me le rendre. Cet exil à Rome lui a servi de leçon ! Comme cela m'a servi de leçon. S'il ne change de lui-même son comportement, je l'exigerai, je t'en fais la promesse. Nous avons tous besoin de tranquillité, Henriette la première. Elle me dit avoir supplié que tu mette fin à l'exil, elle aussi.

Si tu ne m'écoutes moi, peut-être l'écouteras-tu, elle qui te revient victorieuse avec le traité que tu désirais tant. Elle qui a abîmé sa santé pour cette campagne que tu nous promets, j'ose espérer que ses souffrances comme les miennes n'auront été vaines. Pardonne mes mots, mon audace, mais s'y cache de la lassitude et de l'amertume. Cette absence n'a que trop durée. Promet-moi que tu y mettras bientôt fin, avant qu'il ne tombe amoureux d'un bel éphèbe italien et ne le préfère à moi. Tu sais combien je suis attaché à lui, mais parfois, je doute que l'inverse soit vrai.

C'est la peur de la perte, l'aigreur créée par son absence qui me rend si dur avec toi. Hélas, je suis ainsi avec tout le monde. La pauvre Henriette a tenté d'embaumer un peu mon cœur en me parlant du portrait redoré qu'elle a fait de moi à son frère et Dieu seul sait combien je lui en sais gré, mais rien de tout cela ne parvient à m'égailler. Je suis semblable à une tombe sans lui.

Mon épouse se démène même en invitant les plus beaux jeunes hommes du pays en nos appartements, organisant les plus divines fêtes et célébrations. Mais je n'ai goût à rien et je suis affreux avec elle. Rien de ses actions dictées par la crainte de devoir subir ma mauvaise humeur plus longtemps n'arrive à m'arracher ne serait-ce qu'un sourire.

Si tu ne le fais pour moi, fais-le pour elle. Je sens qu'elle va finir par se tuer à la tâche.

17 juin 1670, Saint Germain

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