Lettre XLVI, de Monsieur à Charles II.

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Mon cher frère anglais,

Vous n'avez répondu à ma dernière lettre, pas plus qu'aux précédentes. Je n'en prends ombrage, je sais bien que mon épouse et moi étions sans cesse aux prises de conflits conjugaux et que vous ne pouviez prendre mon parti. C'est bien normal qu'un frère soutienne sa sœur particulièrement lorsqu'elle est loin de lui. Je le comprends aisément, regrettant parfois que mon frère n'en fasse de même. Je dois vous avouer qu'en réalité, j'ai longtemps envié Henriette pour la relation qu'elle avait avec vous.

Ce n'est que très récemment que j'ai réalisé que mon frère n'a failli à ses devoirs. En restant neutre, il n'a jamais appuyé mes reproches, ne les a jamais encouragés. Je ne doute pas qu'il en faisait de même avec Henriette. Nous avons cru qu'il gardait porte close alors que c'était tout l'inverse. Il cherchait simplement à ne pas accentuer la discorde entre nous, il voulait que nous nous réconcilions et jusqu'au bout, il a lutté en ce sens.

À présent, c'est pour établir une communication entre vous et moi qu'il s'échine. Louis a toujours été ainsi, ne supportant les disputes. Il faut le comprendre, il a grandi en voyant le pays qu'il devait diriger déchiré par des conflits. Il ne les supporte plus et fera tout ce qui est en son pouvoir afin de les apaiser. J'ai toujours pensé que mon frère avait l'âme d'un ambassadeur, d'un faiseur de paix. C'est bien lui qui m'a encouragé à vous écrire en dépit de l'absence de réponse de votre part. J'espère qu'il aura œuvré suffisamment pour que ces mots soient lus.

Je ne cherche à m'expliquer en aucune sorte ni à obtenir votre pardon, j'ai fait des erreurs que j'assume. Je n'ais pas été un bon époux pour votre Minette, je n'ai pas été exempt de défauts ni de responsabilité dans les conflits qui nous opposaient. Ce voyage en Angleterre a été le sujet de tant de disputes que je regrette amèrement. J'aurais véritablement aimé que notre mariage se passe autrement.

Je pourrais dire que nous étions jeunes, que nous ne savions ce que nous faisions, mais d'autres couples se sont mariés plus jeunes encore que nous et n'ont connu de telles disputes, de tels éclats. En vérité, je crois que si nous étions un couple si animé c'est parce que nous nous ressemblions trop. Nous avions tout deux besoin de lumière, d'être admirés et nous ne supportions que l'autre puisse nous faire de l'ombre.

Alors oui, je n'ai pas aimé Henriette comme je l'aurais dû, je n'ai pas été l'époux attentionné que j'aurais aimé être, mais je l'ai tout de même aimée, à ma manière. Je n'ai jamais cessé d'être à ses côtés et ne l'ai jamais abandonnée. Je me suis occupé de nos enfants, peut-être plus qu'elle-même, car elle n'avait le goût à être mère. Je l'ai laissée être la femme flamboyante, gracieuse et intelligente que tous admiraient. D'autres l'auraient empêchée de briller de la sorte, mais je ne l'ai jamais fait, seulement jalousée.

Je me souviens de l'enfant chétive qu'elle était lorsqu'elle est parue la première fois à la Cour, je me souviens de ses joues creusées par la faim ou la maladie, elle faisait de la peine à voir. Cette image m'a toujours marqué. Comme vous le savez, Minette était souvent malade, et j'étais à ses côtés à chaque fois que le mal la rongeait. Je m'assurais qu'elle ne soit jamais seule en ces instants-là. Et quand elle ne parvenait à atteindre le lit, je me couchais à ses côtés sur le sol, l'aménageant au mieux pour le rendre le plus confortable possible.

Je n'ai peut-être pas été l'époux qu'elle aurait voulu avoir, je n'étais pas assez viril à ses yeux, mais j'ai eu toutes les attentions pour elle, je ne l'ai jamais laissée seule quand la maladie ou le chagrin l'accablait, je l'écoutais quand elle avait trop de peine et lui prêtais mon épaule quand elle avait besoin de pleurer, même lorsque j'étais à l'origine de ses pleurs.

Je regrette de n'avoir rempli mon office de frère auprès de vous, mais si vous m'en laissez l'occasion, je changerai, je vous l'assure. Peu importe ce que nous réserve l'avenir, je serai toujours votre frère et si vous avez quoi que ce soit à me dire ou à Louis, je lui transmettrai sans jamais juger. Je serai l'ami et le confident sincère que j'aurais dû être depuis le début. À présent que cette promesse est faite, sachez que je ne la romprai pour rien au monde, et espère au plus vite votre réponse.

7 juillet 1670, Reuil


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