Lettre IV, d'Athénaïs de Montespan à Monsieur.

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Ton frère n'a aimé tes mots, il n'a pas plus aimé tes suppliques, je ne l'ai jamais vu ainsi, dans une rage terrible. Je ne sais ce que tu lui as écrit mais ta lettre a bien failli finir au feu si je ne l'avait rattrapée. J'ai tenté de le calmer, de le prendre dans mes bras, d'étouffer sa rage dans mon étreinte, dans mes embrassades mais il m'a repoussé, si sèchement, comme s'il comprenait, comme s'il savait, que je le trahirais par amitié pour toi.

Mon cher Philippe, toi qui m'a toujours soutenu, toujours écouté, qui a compris que je ne pouvais aimer mon époux comme je l'aurais dû, encore moins retourner à ses côtés en notre duché. Je ne le supportais plus et grâce à toi, j'ai pu rester à la Cour. Si je l'avais suivi, je n'aurais connu cet amour, si fort, si étourdissant... je te comprends à présent. Ces mots que tu avais, ces pensées brûlantes, ces déclarations enflammées pour le Chevalier... Et moi qui sottement te disait de reprendre tes esprits, de ne point te laisser happer par l'amour, que ça te détruirait...

Mais j'avais peut-être raison. En fin de compte. Je sais que l'amour ne se raisonne pas, je le sais maintenant. Je sais que quoi qu'on te dise, quoi qu'on prétende, tu l'aimeras. Si ce n'était le cas, ton épouse t'aurais dégoûté de lui depuis belle lurette. Elle le haït, cela tu le sais, j'imagine, si profondément. Elle ferait n'importe quoi pour te l'arracher. Mais ce n'est pas elle que tu dois craindre, mon ami, mon frère.

C'est ce que tu as toujours été pour moi, un frère de cœur.

C'est pour toi, et uniquement pour toi que je le trahis.

Il a envoyé Lauzun et d'autres venir te chercher. Je ne sais s'ils t'emporterons ou t'arracherons des bras celui que tu aimes tant, mais je sais qu'une tragédie va survenir. J'ose espérer que ma lettre t'arrivera à temps, que mon serviteur ira plus vite que ces hommes que ton frère envoie. Si elle te parvient avant eux, fuis, enfuis-toi dans un pays voisin, n'importe où sauf l'Angleterre.

Je sais que tu ne le trahiras jamais, ton frère, que pour rien au monde tu souhaites renouer avec la Fronde, que tu en as détesté les évènements bien plus que ton frère ou moi-même. Tu ne cessais de pleurer à l'époque, quand nous étions trimbalé de château en ruine en village en flamme, que nous dormions sur des paillasses et risquions à tout moment d'être arraché à nos parents et tués sans doute. Tu étais si petit alors, si frêle.

Mais tu ne l'es plus. Et tu n'es pas Gaston. Tu ne l'as jamais été. Tu n'as jamais trahi ton frère, jamais tu ne lui as causé le moindre tort, moi je sais quel frère aimant et dévoué tu as toujours été, mais tu connais les colères de ton frère, elles s'apaisent si difficilement, et son pardon met tant de temps à survenir. Je le calmerais, je l'apaiserais, je le convaincrais de revenir à la raison. Et hors de prison, tu pourras lui prouver que tu as toujours été son frère.

Cela me déchire le cœur qu'il soit ainsi, qu'il laisse la colère l'emporter. Je ne sais ce qui l'a rendu si furieux, ta lettre a été consumée en partie, et je n'ai pu en saisir que des morceaux. Tu y parlais d'Henriette. Je ne sais ce que tu lui reproches mais je t'assure qu'il ne l'aime plus, qu'il ne la touche plus. Je le tuerais s'il me trahissait avec elle et il le sait. Je ne supporte pas plus ton épouse que le Chevalier ne la supporte.

Nous nous unissons dans la haine de cette femme. C'est si triste au fond. Elle n'a jamais été vraiment aimé. Louis ne l'aime pas vraiment. Je pense qu'il l'a gardé près de lui uniquement par jeu politique. Il peut être si cruel par moment.

Mes mots, mes mots pourraient me valoir sa colère, alors je t'en supplie, brûle cette lettre dès que tu la recevras. Tu connais mes pensées, tu sais comme mon esprit s'affole et comme je suis passionnée, par amour pour toi, pour lui. J'aimerais tant que nous soyons en paix et joyeux comme nous l'étions enfants. Je ne sais d'où viennent tous ces éclats, toute cette colère, toute cette rage. Comment les enfants joyeux que nous étions pouvons-nous déchirer autant à présent, comme si nous avions tout oublié de l'amour.

27 janvier 1670, Saint Cloud.

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