Lettre XII, de Monsieur au Roi

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Tu m'accueilles le cœur en liesse, tu me promets de ne plus laisser qui que ce soit nous fâcher, de ne plus laisser la distance se creuser de la sorte entre nous, tu jures que désormais nous converserons et ne laisseront plus personne s'interposer entre nous. Pourtant, le Chevalier croupit en prison, enfermé loin de moi, dans des circonstances abominables ! L'imaginer démaquillé, sans sa perruque et ses beaux habits, seul dans le froid de cette prison m'arrache des frissons.

Comment peux-tu l'enfermer ainsi ? Lui qui n'a fait que me dire ce que tu aurais dû m'annoncer toi-même. Tu prétends ne plus vouloir de secrets entre nous, tu jures de désormais tout me dire, tu voudrais que nous soyons aussi proches qu'autrefois, quand nous étions enfant, et j'aimerais te croire. Mais tes gestes me disent autre chose que tes paroles.

Henriette a droit à ces entrevues avec toi, oh je sais, c'est pour préparer sa visite en Angleterre, et je sais bien à quel point c'est important pour toi, je connais désormais les raisons pour lesquelles je n'aurais pu faire ce voyage ni seul ni avec elle, mais malgré tous les arguments que tu m'as donnés, cher frère, je me morfonds seul pendant que le chevalier est en prison et que mon épouse passe tout son temps avec toi et tes conseillers et ministres ! Je crois bien que Colbert voit plus mon épouse que moi ! C'est tout de même un comble !

Tu m'as dit vouloir mon bonheur, ne vouloir que mon bonheur, que ça te déchirait le cœur de me savoir seul là-bas, que loin de la cour, de Saint Cloud, moi et Henriette nous allions dépérir, que nous avions besoin de rester auprès de toi et de resplendir comme nous savons si bien le faire. Et j'aimerais te croire quand tu me dis de si jolies choses à mon sujet, à notre sujet. J'aime à croire que je te suis utile. Je veux t'être utile. Tu le sais, remplir mon rôle me plait, et je l'ai toujours fait avec plaisir. Mais comment le pourrais-je alors que j'ai le cœur sec et les yeux remplis de larmes ? Comment t'être précieux alors que tu continues à la garder auprès de toi.

Tu as oublié si vite le mal que vous m'avez fait tous les deux. Toi et Henriette. Oh je n'ai jamais cru ces sordides rumeurs prétendant que vous vous compromettiez en bafouant les lois naturelles et de l'Église, mais te savoir l'écoutant elle plutôt que moi, lui passant le moindre de ses caprices alors que la moindre petite chose que je te demande donne lieu à une sempiternelle bataille, et surtout, le fait que toute la Cour vous crois amants, amoureux ! Mère en avait été terriblement blessée. Comment crois-tu qu'elle verrait la situation actuelle ?

Pourrais-tu concevoir que je passe autant de temps avec ton épouse que tu en passes avec la mienne ? Que ta maîtresse soit envoyée en prison, loin de toi, sans qu'aucun moyen de communiquer ne vous soit possible ? Je sais bien que je n'aime plus mon épouse, que le Chevalier n'a pas été de très bons conseils dans ses lettres, mais peux-tu comprendre qu'il était seulement motivé par la colère et l'amertume ? Qu'il cherchait seulement à se venger du mal qu'il lui a été fait ? Car lui, contrairement à ma femme, il m'aime. Je le sais. Tu es persuadé qu'il m'utilise, qu'il me manipule, mais il ne cherche au fond qu'à m'aider, il ne songe pas à mal, il n'est pas comme ça.

Ne crois-tu pas qu'Henriette ne fasse la même chose avec toi ? avec moi ? N'as-tu pas remarqué le nombre de rumeurs courant à mon sujet, des plus dénigrantes, dont elle est l'autrice ? N'as-tu jamais compris que tous ces complots venaient tout autant d'elle que du Chevalier ? Tu le sais mieux que moi, tu n'as jamais eu la candeur que j'ai. J'en suis d'autant plus persuadé que tu as fait enfermé des courtisans dans son entourage, mais elle demeure libre alors que le Chevalier croupis en prison.

La rumeur dit que c'est elle qui l'y a envoyé, qui t'a supplié afin que tu l'éloignes de moi, d'elle. Je sais bien que tu n'aurais cédé à un tel caprice, j'ose l'espérer, mais enfin, veux-tu laisser de telles rumeurs courir ? Tu sais bien qu'en la traitant avec autant de douceur, en lui pardonnant tout alors que tu ne pardonnes rien au Chevalier, tu lui donnes l'avantage, tu laisses tout le monde croire que tu prends son parti.

Je t'en supplie, si tu veux vraiment mon bonheur, que tu veux faire taire ces affreuses rumeurs qui nous déchire, tu feras libérer le Chevalier.

Je ne te demande pas de me le rendre, j'ai bien compris qu'il ne faudrait y compter avant que tu ne lui ais pardonné, et je te connais, tu conserves longtemps rancœur. Mais je te l'assures, il ne t'as jamais voulu le moindre mal, il était juste sot et en colère. Tu le connais voyons ! Il est si insouciant ! N'a-t-il pas voulu partir en guerre avec ses amis quand il était jeune, ne songeant qu'à te faire plaisir et à bouter les Espagnols ?

Je t'assure qu'il ne te fera courir le moindre danger, ni à toi, ni à elle, ni à moi. Tout ce qu'il veut c'est être près de moi et c'est aussi mon souhait le plus cher !

Pardonne-moi, pour les mots que j'ai pu avoir, ce n'était que la colère qui parlait, tu sais que tu as en mon cœur une place particulière, que jamais je ne trahirais le serment que nous avons fait à Mère, t'en souviens-tu ? Te souviens-tu que nous n'avons échangé aucun mot, aucune promesse faite de mots ne nous paraissait suffisante pour ce que nous ressentions alors, nous avons laissé nos larmes, nos baisers et nos étreintes répondre à notre place.

Tout ce que je souhaite, c'est que nous soyons proches à nouveau, que tu me fasses confiance comme tu le faisais autrefois, que nous ne laissions plus ni femme ni homme se mettre entre nous, mais pour cela, j'ai besoin que tu fasses ce geste pour moi, que tu libères le Chevalier. Envoie-le en exil si cela te paraît nécessaire, en Italie, mais je t'en supplie, ne le fais pas croupir dans une cellule de ces infâmes prisons, il n'est coupable de rien, tu le sais aussi bien que moi. Si répandre des rumeurs et révéler des secrets était un crime alors il faudrait que tu enfermes toute la cour !

15 mars 1670, Versailles

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant