Lettre LXIV, de Monsieur au Chevalier.

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Mon cher amour,

Pour tout te dire, je suis épuisé. Louis est persuadé que ma cousine finira par accepter le mariage, qu'elle ne peut y échapper. Y échapper. Je déteste quand il parle ainsi, comme si nous étions tous des pions sur son échiquier. Lorsqu'il poursuit une idée, il ne prête plus attention à nous et à ce que nous pouvons ressentir. Il n'a plus en tête que son objectif et rien d'autre n'a d'importance.

Il serait vain et douloureux de s'y opposer, j'ai déjà tenté d'aller à l'encontre des volontés de mon frère et mal m'en a pris. Tu serais peut-être encore à mes côtés si je ne m'étais pas opposé à ce voyage en Angleterre, sûrement si j'avais été plus conciliant par le passé et ne lui avait donné des raisons de douter de moi. Pourtant, je le connais. Comme je connais ma cousine. Plus il tentera de la forcer plus elle refusera. Ce trait de caractère l'a toujours menée à la rébellion, comme l'a illustré la Fronde ! Et si Louis n'y prête attention, la situation pourrait devenir explosive et dangereuse.

Anne-Marie-Louise connaît tout de ma vie et de ses tumultes, c'était ma confidente au plus fort des crises avec Henriette, elle sait parfaitement comment je suis et plus encore que c'est toi qui habite mon cœur. J'imagine que cela pourrait aussi lui donner la liberté dont elle a besoin, mais j'ai bien peur qu'elle veuille plus que quelques instants épars. C'est surtout son caractère féroce que je crains. Elle est plus butée encore que ne l'est mon frère.

Je redoute de me retrouver entre les deux alors qu'au fond, tout ce que je souhaite c'est que Louis me laisse respecter la période de deuil. Je ne voudrais que ces rumeurs de mariage ne vexent Charles II qui accepte tout juste de m'écrire ! Tant d'efforts seraient ruinés s'il n'y prend garde. C'est une crainte que j'ai soumise à mon frère, mais bien sûr, il ne l'a écoutée.

Naturellement, je n'ai pas mon mot à dire sur le sujet, j'ai beau lui avoir transmis mes inquiétudes, avoir entendu celles de ma cousine, je sais bien que mon frère ne décidera qu'en écoutant son propre avis et ne suivra que son propre objectif. Et moi je poursuivrai le mien.

Je me moque bien de qui l'on me demandera d'épouser, tant que tu me reviens. Je veux bien avoir pour femme la plus laide et la plus pauvre des princesses pourvu que tu me reviennes ! Ce ne sera qu'à cette condition que j'accepterai de me remarier.

Tu me demandes si j'y aurais un intérêt. Cette union pourrait bien m'être profitable. Sur le plan financier, mon frère a raison. Il est important que les biens de ma cousine restent en France et si possible dans la famille. Mais c'est un argument que n'entendra point Anne-Marie-Louise, je le crains. Peut-être devrions-nous lui faire entendre raison ?

J'ai bien réfléchi, Anne-Marie-Louise n'est plus très jeune, je doute qu'elle veuille avoir des enfants. Nous ne serions même pas obligés de coucher ensemble, il nous suffirait de vivre en bonne intelligence. Elle sait parfaitement ce qu'il en est de moi, de mes sentiments et de mes habitudes. Sa seule source d'inquiétude, mon cher amour, c'est toi.

Des courtisans lui ont soufflé que tu ne voulais de ce mariage. Est-ce vrai ? J'ai du mal à le croire. Je ne vois pas pourquoi tu t'y serais opposé, d'autant que jusqu'à présent, ma cousine et moi étions déjà contre l'idée. Ce n'est que devant l'insistance de mon frère que je finis par céder. Évidemment, ses arguments résonnent en moi.

Sa fortune, en plus de sécuriser notre avenir, t'assurerait de ne plus risquer l'endettement. Tu peux le nier autant que tu le veux, je sais parfaitement quel est ton train de vie, et quand tu es en colère contre moi, tu dépenses encore plus dans le but ridicule de me punir. Peut-être est-ce là tes raisons ? Dis-moi, je t'en prie, si c'est bien le cas ou si ce n'est que de vulgaires rumeurs qu'il faudrait ignorer.

Mon frère ne te laissera pas revenir si tu ne montres pas plus d'enthousiasme vis-à-vis de mon mariage que tu as pu en montrer avec Henriette. Dis-lui que tu n'as rien contre cette union, qu'au contraire, tu l'encourages. Ce sera, j'en suis persuadé, ton invitation à rejoindre la Cour.

5 octobre 1670, Versailles





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