Lettre LXXXVIII, du Chevalier à Monsieur.

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Ta jalousie, mon amour, finira par empoisonner ton cœur ! Cesse donc de te tourmenter à imaginer quoi que ce soit entre ta nouvelle épouse et ton frère. Il est le Roi, il est bien naturel qu'elle cherche à lui plaire. N'importe qui recevant sa faveur devient aussitôt la coqueluche de la Cour. Tu disais qu'il était important qu'elle s'y sente à son aise, n'est-ce pas ? Eh bien je crois que la solution est juste sous tes yeux. Cesse de voir cette relation sous le prisme de la jalousie et de ce qu'Henriette t'a fait subir, je doute que ta nouvelle épouse soit de la même trempe.

Tu me dis qu'elle aime la franchise, qu'elle est spontanée, qu'elle ne connaît le mensonge et détestes la tromperie ? Tant mieux, elle ne te trahira jamais ! Je t'en prie, ne fais pas l'erreur de la pousser au crime en l'accusant de quelque chose dont elle est totalement innocente. Ne vois-tu pas que c'est en agissant ainsi que tu risques de provoquer ce que tu redoutes tant ? La plupart des criminels ne le deviennent que parce que tout les y pousse ! Crois-en mon expérience.

J'ai adopté bien des comportements dangereux, et fini par en payer le prix. Toutes ces années j'ai cru échapper à une sorte de justice divine qui m'apparaissait grotesque. Toi, tu as toujours été très croyant, mais ce n'est pas exactement mon cas, je voyais l'injustice partout et me disais que moi aussi je devrais faire ce que je voulais. Alors j'ai commis toutes ces choses idiotes, ces complots, ces cabales, ces mensonges dans des mensonges, des parades, des mascarades. Rien de tout cela n'avait d'importance, simples divertissements qui me paraissaient sans conséquences.

Pourtant il y en a eu. Je ne m'en rendais pas compte, mais j'ai blessé mon entourage par mon comportement, toi le premier. Si je n'avais pris part à ces traquenards, Henriette aurait fini par abandonner ne voyant aucune réponse venir à ses provocations. J'ai participé à cette atmosphère délétère qui a pesé si lourdement que tu vis dans la crainte de revivre les tourments. Je t'aime trop pour supporter de te voir t'enfermer à nouveau dans ce cercle vicieux. Liselotte ne te trahira parce que ni toi ni moi ne lui en donnerons l'occasion.

Tu as eu raison de vouloir être franc avec elle et de tout lui dire. C'est ainsi qu'il devrait en être et qu'il en sera ! Conte-lui tout ce que tu as vécu, ton désir de ne rien lui cacher et de vivre en paix avec elle. Promets-lui de tout lui dire si elle fait pareil en retour et surtout, dis-lui que je ne souhaite pas être son ennemi. J'ai appris de mes erreurs et, comme toi, je ne veux revivre cet infernal trio que nous avions avec Henriette.

Entends-le mon amour, je veux goûter au bonheur de nos premières années ensemble, quand nous ne prêtions alors attention à Henriette et à ses singeries. Nous étions heureux tous les deux. Rien d'autre ne comptait, rien d'autre n'avait d'importance. Je voudrais qu'il en soit ainsi entre nous à nouveau, retrouver ce que nous avons perdu, nos amours innocents et joyeux d'autrefois.

Mon exil n'a que trop duré. J'ai essayé de me divertir avec Marie et Hortense. Il est vrai que leurs histoires rocambolesques ont été d'un amusement sans fin. Toutes ses tentatives pour attirer l'attention de ton frère étaient parfaitement ridicules et fort divertissantes. Hélas, je ne pouvais rien te dire tant qu'elle n'avait pas reçu de Louis l'accord qu'elle attendait tant pour revenir en France.

Vois-tu Marie m'a aidé en bien des façons et son amitié m'a été précieuse, je ne pouvais la trahir même en ton nom. Je te connais mon Philippe, tu ne caches rien à ton frère, tu t'inquiètes toujours pour lui et pour la France. Mais crois-moi, ni l'un ni l'autre n'a jamais été en danger, pas plus que notre relation.

Marie voulait rendre son mari jaloux, elle le soupçonnait de vouloir l'assassiner, elle en était persuadée sans toutefois n'avoir aucune preuve, alors on a mis au point ce plan idiot et je suis désolé que en fus victime. J'ai essayé de te dire que ce n'était rien, qu'il n'y avait rien de vrai là-dedans. Nous avons fait courir des rumeurs et son époux est tombé dans le panneau ! Il a cherché à s'en débarrasser en l'empoisonnant, dès lors, il m'a suffi de le dire au Roi et elle a bénéficié de son retour tant espéré.

Je doute cependant qu'elle retrouve ton frère comme elle le désirait. Marie vit dans les regrets de ce qu'elle a perdu. C'est triste à voir, mais il n'y a que lui qui a réellement compté. Elle a épousé cet homme pour rendre Louis jaloux et s'en est très vite mordu les doigts. Comment l'amour peut-il nous pousser à des actes aussi stupides, nous menant précisément à notre perte ?

En la voyant faire, j'ai réalisé que je m'étais trompé. J'ai cru avoir agi pour ton bien, au nom de notre amour, que mes actions nous délivreraient d'une certaine manière, mais je me suis lourdement trompé. Rien de ce que j'ai fait par le passé ne nous a aidés. Au contraire, je dois mon exil à cette grossière erreur d'appréciation. Et tu as tant souffert parce que j'ai agi comme un idiot. Pardonne-moi, mon amour, je te promets de ne plus jamais te faire souffrir ainsi.

J'ai changé, je ne suis plus le même homme, je te le jure.

5 janvier 1672, Naples.

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