Lettre XXXII, du Roi à Monsieur.

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Dites-moi mon frère quelle est la raison de ce départ à Saint-Cloud en plein milieu des célébrations que je donne pour ton épouse et toi-même également, par voie de conséquence ?

J'aurais cru que tu te réjouirais plus de la victoire de ton épouse, de son avancée avec Charles II. Elle m'a assuré qu'il a les plus aimables pensées à ton égard comme à celui de la France. Je suis persuadé qu'elle a dû te le dire, pourquoi te l'aurait-elle caché alors qu'elle paraissait si heureuse.

Tu te plaints de l'absence du Chevalier mais tu sais bien qu'il met mal à l'aise ton épouse. Elle a beau prétendre le contraire pour te faire plaisir, et parce que tu l'y forces par ton comportement, mais nous savons fort bien ce qu'il en est. D'autant plus qu'après cet éprouvant voyage, Henriette a besoin de repos.

J'ai appris que son mal l'avait repris, dois-je t'envoyer mes médecins ?

Certainement, faire revenir le Chevalier maintenant serait des plus malvenus. Je pense qu'il serait plus sage d'attendre qu'elle soit pleinement remise. Je doute que le retour de ton flamboyant amant alors que ta femme se tord de douleur soit une si bonne idée. Je m'excuse d'avoir l'air de te faire languir, ce n'est pas ma volonté, si je le pouvais, je mettrais fin à l'exil de ton chevalier ! Je sais bien que tu l'aimes, trop malheureusement.

A l'inverse de toi, il ne m'a envoyé aucune lettre d'excuse, aucune demande pour revenir, il ne fait même pas bonne figure en Italie. Tu dis qu'il a compris la leçon, pourtant j'entends de drôles d'histoires me parvenir d'Italie. Je préfère ne pas écouter ce qu'il se raconte, d'autant que je suis persuadé que Marie de Mancini exagère tout cela dans l'espoir de regagner la France, ou pire, ma Cour.

N'aie crainte, il n'y a aucune chance que je la laisse faire. Je n'ai pas oublié ce qu'il s'est passé autrefois ni avec quelle rapidité elle s'est remise de la fin de nos amours. Cela me désole tout autant que toi d'apprendre ce rapprochement entre eux. J'ose espérer que cela te montre que le Chevalier n'est pas digne de ton amour et de ton attention. S'il l'était, il la repousserait sachant qui elle est, ce qu'elle représente pour toi.

Mais, ce n'est pas à moi de juger l'attitude du Chevalier ou la validité de vos amours, et je sais bien que tes sentiments à toi sont réels.

Je te rendrai le Chevalier quand ton épouse aura repris des forces et que Charles II ne pourra plus reculer. Comme tu t'en doutes, il peut encore rompre nos accords. Mais, lorsque la bataille aura commencé, il ne pourra plus se défaire de l'alliance sans passer aux yeux du monde pour un traître et un lâche. Il a trop besoin de l'appui de son peuple et de son gouvernement pour agir ainsi.

Ainsi, je l'ai décidé, vos retrouvailles auront lieu sur un champ de bataille, n'est-ce pas ainsi que vos amours ont commencé ? Tu me disais vouloir participer à la campagne de Hollande, et bien sache que je t'ai compté parmi mes généraux. Nous irons tous ensembles à la guerre. J'aurais aimé que Charles nous accompagne également, mais nous devrons nous contenter de ses hommes et de ses navires. Vois quelle victoire nous apporte ton épouse, vois comme elle est digne d'être ta femme !

J'espère que ces nouvelles t'apaiseront. Tiens-moi au courant de l'état de ton épouse, je t'en conjure. Je suis inquiet que son mal ne soit la réelle raison de ce soudain exil à Saint-Cloud.

23 juin 1670, Versailles.


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