Lettre VII, d'Athénaïs à Monsieur.

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Lorsque tu es parti à Villers-Cotterêts, Louis est entré dans un état de fureur qui m'a grandement inquiétée. Je ne l'avais encore jamais vu dans un tel état. Il ne parle plus, il ne réagit même pas à mes caresses ni à mes baisers. Il reste plongé dans ses pensées. Si l'on tente de s'approcher de lui, il a des mouvements d'humeur qui lui ressemble si peu. Même à moi, sa plus tendre confidente, il peut être brutal et froid. Rien de ce que je peux dire ou faire ne l'adoucit.

J'en viens même à craindre pour sa santé. Lui qui mange d'habitude bien plus qu'il ne le devrait pour sa taille, n'avait plus l'appétit à rien, il refusait d'aller chasser ou même danser, rester en mes appartements paraissait le rendre furieux, même se balader dans les jardins qui d'ordinaire l'apaise n'avait pas le moindre effet positif. Il tourne tel un lion en cage.

C'est votre discorde qui le plonge dans cet état de fureur froide bien plus terrible que s'il hurlait et brisait quelques mobiliers. Au lieu de laisser éclater sa colère, il tourne encore et encore, a ces mouvements d'humeur, repousse chacun et chacune s'approchant de trop près. Il est rempli d'une telle fureur que même ses plus proches amis, ministres même sa femme ne peuvent lui parler.

Je sais bien que c'est vos affaires, que c'est ton frère et que je ne devrais m'en mêler, mais je supporte pas de le voir ainsi, je supporte pas de te savoir si loin, refusant de voir qui que ce soit. Ton silence et sa colère m'inquiète. Tu me réponds toujours d'ordinaire, tu me dis lorsque ça ne va pas, même lorsque c'est Louis le sujet de ta colère, tu me disais tout avant. Je t'ai dit que ma relation avec ton frère ne changerait rien, que je serais toujours ton amie.

Ne l'ai-je pas été depuis l'enfance ? Ne t'ai-je pas soutenu envers et contre tous ? N'ai-je pas, lorsque nous étions enfant, prêté mes robes et prétendue que tu étais une amie afin que tu puisse te vêtir comme tu le voulais, te farder autant que tu le désirais ? Je t'ai toujours soutenu. Souviens-toi, de tes premiers amours, n'ai-je pas menti pour te protéger ? N'ai-je pas prétendu à ta mère que tu étais avec ton frère en train de jouer alors que tu étais en réalité avec Philippe Mancini ?

Je t'en supplie, ne te ferme pas à moi parce que je suis devenue la maîtresse de ton frère. Tu sais bien que ma passion pour lui est à mon corps défendant, que j'ai tout fait pour éviter cela, refuser ses attentions et ses faveurs. Que je déteste ce rôle et ne veut absolument pas ressembler à cette pauvre Louise. Ou à toi. Mon cher Philippe. Je vois comme tu es malheureux. Ces amours qu'on ne devrait avoir nous font forcément du mal, j'ai vu tant de monde en souffrir, toi le premier.

Ne te souviens-tu pas de ton cœur brisé par ce salopard de Guiche ?

Je ne veux pas que tu souffres à nouveau. Et si je le peux, je ferais tout pour que le Chevalier te revienne. Mais pour cela, je t'en prie, fais la paix avec ton frère. Tu le connais, il ne supporte pas tes mouvements d'humeur, encore moins qu'on lui fasse du chantage. Ce que tu fais en partant avec ton épouse et tes enfants aussi loin de la Cour.

Tu ne parviendras à rien ainsi, en entrant frontalement en conflit avec ton frère. Tu sais comme est Louis, il a besoin d'avoir le contrôle, le dernier mot. J'ai si peur, peur qu'il fasse quelque chose que tu ne lui pardonneras pas, que cet éclat soit comme une fracture entre vous. Tu aimes trop le Chevalier, et cela te met dans un état de faiblesse, de fragilité que ton épouse sait si bien exploiter, mais que ton frère pourrait aussi utiliser si tu le pousses à bout.

Je t'en supplie, parle à ton frère et cesse d'agir comme tu le fais, tu ne trouveras rien de bon dans un conflit ouvert avec ton frère, ce silence, cet éloignement causent plus de tort au Chevalier et à toi-même qu'à Henriette, je te l'assure !

Laisse-moi être encore ton amie, ton soutient, ton alliée.

Je peux obtenir de Louis que le Chevalier soit plus confortablement installé, lui rappeler que Chevalier n'est pas seulement ton amant mais également ton confident, qu'il t'apaise, qu'il t'aide à garder la tête froide, qu'il est ton soutien, ton appuis et qu'enfin, tu as vraiment besoin de lui pour supporter ce mariage qui t'étouffe. Moi, il m'écoutera, j'en suis certaine !

Sois patient, accepte mon amitié et mon aide, et tout ira bien, je te l'assure. Je ferais tout pour que le Chevalier te revienne. Peu importe ce qu'Henriette pourra bien souffler au creux de l'oreille de Louis, il ne l'aime plus, c'est moi qui ait gagné son cœur. Le seul levier qu'elle possède encore c'est son frère, car je sais bien qu'elle n'a plus aucune force d'appui sur toi. Cette idiote en exilant le Chevalier s'est défait de son seul moyen d'obtenir quelque chose de toi.

Et je te connais, tu dois lui faire payer cela au centuple. Je ne te dirais pas d'être plus gentil avec elle, elle mérite ce qu'il lui arrive. Henriette a toujours été affreuse avec toi, avec moi, et je n'ai aucune pitié pour elle. Je suis seulement triste que Louis l'écoute encore et puisse vouloir encore passer du temps avec elle, soit obligé de faire mine de se soucier d'elle. J'aimerais que nous n'ayons besoin de l'alliance avec son frère.

Ne la laisse pas gagner, reprend contact avec ton frère, dis-lui ce que tu as sur le cœur, met fin à ce silence effroyable qui nous meurtris tous. Je ne peux croire que tu n'en souffre pas toi aussi, je ne peux croire que tu ne sois pas au supplice en cet affreux château seul avec elle. Ne me dis pas que la Cour, que notre compagnie ne te manque pas, je n'en croirais pas un mot. Crois-moi sur parole, la seule manière d'aider le Chevalier est de mettre fin à ce silence et à cette discorde !

2 février 1670, Saint Germain

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant