Lettre XVII, de Monsieur au Roi.

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La dispute a été terrible.

Le sang m'en bat encore les tempes, j'ai la gorge douloureuse d'avoir tant crié. Je suis encore empli de fureur. Je ne décolère pas. Et puisque mes cris n'ont pas su te convaincre, j'espère que mes mots sauront mieux le faire.

J'ai été si naïf de croire que ce voyage n'était que pour lui permettre de voir son frère ! Pourtant, je te connais, je sais, à la longue, que tu ne fais rien sans une idée précise derrière la tête. Ce voyage... ce n'est rien de moins qu'une mission diplomatique ! Autrement dit, tu l'as choisie elle pour représenter la couronne, pour te représenter. Henriette ! Je ne peux comprendre ce choix. Tu le sais pourtant qu'elle n'a pas la trempe pour, plus encore, elle ne sait conserver aucun secret, pire encore, qu'elle déforme tout ce qu'on lui dit ! Comment peux-tu lui donner ce genre de mission et m'en exclure ?

Parce que j'aime m'habiller en femme, me poudrer le nez, que je préfère les hommes au femmes, je ne serais un bon militaire ? un bon stratège ? C'est là où tu te trompes, cher frère. J'aimerais te prouver ma valeur, te montrer ce que je vaux, te seconder comme je le faisais lorsque nous étions enfants et jouions à la guerre. Mais aujourd'hui encore, comme autrefois, tu ne me fais pas confiance et préfère jouer seul. Je pouvais l'admettre quand tu te débrouillais effectivement tout seul ou avec tes ministres qui ne sont au fond que l'ombre de toi-même mais là... là, tu fais appel à elle ! A elle !

Après tout ce qu'il s'est passé ! Comme si ça ne t'avais pas suffi de t'emparer de ma femme, qu'elle soit amoureuse de toi au lieu de m'aimer moi, de la rendre jalouse de tes maîtresses, de laisser toute la Cour et la France avec penser que vous étiez amants, tu as voulu faire d'elle ton ambassadrice alors que tu me refuse encore de t'aider au combat !

Tu m'exclus de ta stratégie militaire, repousse mes conseils, mes demandes de t'aider, ignore mes remarques sur ces plans alambiqués que tes ministres te donnent. Tu ne peux pas faire ainsi : me repousser continuellement et la prendre elle, pour confidente, comme ambassadrice !

Je le refuse, tu m'entends ? Je le refuse !

Je t'en ai voulu, je lui en ai voulu, de te préférer à moi. Si tu savais comme j'ai été horrible avec elle de ce fait. Je voulais vous punir tous les deux, la punir elle surtout car toi, tu as toujours été intouchable. Je l'avoue, je l'ai mise enceinte chaque année pour te faire fuir pensant que son ventre plein te ferait réfléchir, t'effrayerait peut-être. Mais vous n'avez cessé d'être proche, et il a fallu cette Vallière pour qu'enfin cette trahison cesse.

Tu n'avais pas le moindre égard pour moi, et par conséquent, elle non plus. Pourquoi en aurait-elle eu alors que tu n'en avais ? Elle m'a traité comme tu l'as toujours fait, comme si je serais toujours là quoi qu'elle fasse, peu importe les humiliations qu'elle me faisait subir. Et comme un idiot, je me contentais de cris, de crises, au lieu de lui rendre la pareil. J'ai toujours été ainsi avec toi aussi. A vous pardonner toutes vos erreurs.

Mais cela suffit !

Toutes ces douleurs que vous m'avez fait endurer, toi et elle, ce n'est rien en comparaison de ce qu'il me fait endurer, lui, le Chevalier. Tu l'as libéré, envoyé en exil en Italie, et j'en suis très heureux. Ne me crois pas ingrat, bien au contraire.

Mais je sais comme il est, couchant à droite à gauche, il n'y a de limites en ses conquêtes amoureuses depuis que tu lui as fait quitter les champs de bataille. Sans occupation autre que les divertissements, il a choisi la luxure et s'y adonne mieux que personne. Il se fiche bien de ma personne, je pourrais mourir pour lui, et lui ne songe qu'à sa prochaine conquête !

Le savoir seul là-bas, avec tous ces courtisans, ces beaux et ces belles lui tournant autour, j'en meurs !

Je suis si malheureux, Louis. J'ai besoin de partir en Angleterre, pas seulement pour te prouver ma valeur, mais pour songer à autre chose qu'à ses conquêtes en Italie. Je t'en prie, confie-moi cette mission diplomatique ! Ne suis-je pas le beau-frère du roi d'Angleterre ? Je saurais me faire entendre, je t'en conjure... donne-moi cette mission à moi plutôt qu'à elle.

Tu ne cesses de le dire, que les routes sont dangereuses, que les espions observent chacun de tes mouvements, que Guillaume d'Orange ferait tout pour te nuire, pour nuire à tes plans. Tu sais parfaitement qu'elle n'est pas de taille, qu'elle va se faire broyer par tes plans, qu'elle sera victime de ton machiavélisme ! Et je refuse que pareille chose lui arrive ! Elle est souffrante, je te l'ai déjà dit, le mois dernier le médecin la disait à l'agonie.

Je t'en prie, si tu me faisais un peu plus confiance, tu verrais que je suis digne d'être ton confident, ton appuis politique, que j'ai l'oreille pour les diplomates, et que je sais les écouter autant que les divertir ! Je sais que mon beau-frère ne m'écoute pas autant qu'elle, d'autant qu'elle a dû lui raconter des horreurs à mon sujet, mais ne suis-je pas plus pondéré qu'elle ne l'est ? Ne t'ai-je pas prouvé mainte fois ma valeur ?

J'ose espérer que tu ne te défie de moi, que tu ne me crois pas capable de trahison comme notre oncle Gaston. Jamais je ne ferais ce qu'il a fait à Père. Moi aussi, je l'ai détesté pour ce qu'il nous a fait endurer lorsque nous étions enfant. Sans lui, jamais nous n'aurions eu à fuir, jamais notre cousine nous aurait tiré dessus à coup de canon. Tu te souviens que nous l'avions affrontée ensemble ?

Alors je t'en prie, laisse-moi encore te servir comme je l'ai toujours fait. Si tu penses qu'elle seule peut obtenir cette alliance alors soit, j'accepte qu'elle parte mais laisse-moi au moins l'accompagner. Et je ne te demande qu'une seule chose en échange. Qu'à notre retour, le Chevalier me revienne, c'est tout ce que j'exige en échange de ce voyage.

1 avril 1670, Versailles

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant