Lettre LIII, de la Grande Mademoiselle à Monsieur.

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Mon cher cousin,

Le Roi m'a avertie de ses projets de mariage et j'imagine qu'il vous en a fait part également. J'ai attendu quelques jours avant de vous envoyer cette lettre ne sachant comment formuler le trouble qui est le mien en ces instants. Je sais bien que nous étions destinés à nous marier vous et moi, que votre frère y songeait déjà avant qu'il ne choisisse Henriette. Si nous avons changé, grandi et su mettre de côté nos différents, il n'en demeure pas moins que ce qui empêcha notre mariage autrefois est encore actuel.

Je suis toujours plus vieille que vous, mon cher cousin, et si treize ans ne paraissent rien actuellement, il n'en sera pas de même lorsque nous vieillirons. Je paraitrais alors nettement plus vieille que vous, si cela ne choque guère dans l'autre sens, notre situation fera indéniablement jasé j'en suis certaine. Je me moque éperdument des commérages mais ce n'est pas votre cas, cher cousin, je crois même que vous en êtes tout à fait lassé.

Et nous avons des caractères très différents vous et moi. Nous le savons parfaitement car nous nous sommes beaucoup rapprochés ces dernières années, ce qui enrichi notre amitié pourrait bien être funeste en un mariage ! Que ferions-nous ensemble ? Nous passerions notre temps à nous disputer ?

Vous sortez d'une relation longue et éprouvante avec votre défunte épouse. Vous n'avez jamais su accorder votre tempérament avec celui d'Henriette qui, pourtant a bien moins de caractère que j'en ai. Malgré ses airs d'ingénue, Henriette était douce, délicate, elle aimait les belles tenues, les galas, les réceptions, toutes ces soirées que vous passiez votre temps à organiser. Malgré tous vos différents, vous aviez suffisamment de points communs pour vous réunir en quelques passions vous animant, et lorsque vous réussissiez à vous unir ainsi, vous illuminiez la Cour et ses soirées.

Prenez conscience n'en sera pas de même avec moi qui préfère le grand air, la chasse et les escapades aventureuses. Vous qui détestez tout cela, n'avez-vous pas peur que nous nous embêtions plus qu'autre chose ?

Je n'ai le goût à la romance, il est vrai, et je connais vos préférences. Je connais également le Chevalier. Je n'ai rien contre lui, mais l'idée de devoir composer avec vos mignons m'effraie quelque peu. Un mariage c'est déjà compliqué en soi, si compliqué que j'ai rompu avec tous mes fiancés avant même qu'on ne soit devant l'autel ! Je n'avais aucun scrupule à le faire avec eux, mais avec vous ? Je préfère nous éviter tous ces ennuis dès maintenant !

Évidemment, votre frère ne veut rien entendre. C'est un vrai Bourbon ! Lorsqu'il a une idée en tête, il ne s'en défait pas facilement. Mais vous, Philippe, avez toujours été quelqu'un de compréhensif et de conciliant. Vous savez que ce mariage est une très mauvaise idée. Plus que tout autre, vous serez capable de le raisonner, j'en suis persuadée.

Je tiens bien trop à notre amitié pour risquer de la perdre par un mariage condamné avant même d'avoir été célébré. Aussi, je ne puis laisser votre frère nous unir sans réagir, sans tenter de sauver notre amitié. Car vous le savez mieux que personne, n'est-ce pas, qu'il est une chose d'être ami et une autre, tout à fait différente, d'être époux.

De plus, vous avez des enfants et vous savez que je n'ai jamais eu le désir d'en avoir. Je ne souhaite infliger à vos enfants la présence d'une marâtre qui ne les aimerait comme il leur faudrait. Vous avez besoin d'une épouse douce et aimante comme la Reine. Voilà quelqu'un de tout à fait admirable et d'un caractère tout à fait propice au mariage et aux unions pacifiques faites pour durer. Moi, j'ai un caractère de cochon et je ne suis bonne à rien dans un ménage.

Nous serions bien trop mal unis tous deux. Nous serions parfaitement malheureux, j'en suis convaincue. Je préfère vous conserver comme ami plutôt que vous avoir pour mari, n'en prenez ombrage. Je vous aime trop pour vouloir me disputer avec vous, mon cher cousin.

15 juillet 1670, Saint Cloud

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