Lettre XXIX, d'Henriette à Monsieur.

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Où êtes-vous mon cher époux ? Je suis rentrée d'Angleterre le cœur en liesse, mais parvenue à Calais je n'ai vu personne. Ni vous ni mon Roi pour qui j'ai fait tout cela. Je ne peux croire que vous m'ayez tous oubliée, abandonnée ! Moi qui n'ai fait que songer à vous et presser mon frère de me renvoyer au plus vite auprès de vous dès que j'ai obtenu de lui tout ce que je vous avais promis.

Mais vous doutez de moi, c'est cela ? Vous me punissez d'être restée plus longtemps ! Vous êtes parti de Calais, il y a quelques jours à peine, m'a-t-on dit ! Pourquoi me faire pareille chose, mon époux ? Pendant ces jours où vous m'avez délaissée, j'intercédais auprès de mon frère pour que vous puissiez m'accompagner à ma prochaine visite. Pendant que me laissiez seule, je faisais à mon frère le plus joli portrait de vous. Voyez donc comment je suis remerciée !

Que dois-je faire pour que vous me pardonniez mes erreurs du passé ? Je reconnais m'être laissée séduite par votre cher comte De Guiche, c'est parfaitement vrai. Mais je ne l'ai point fait par gaité de cœur, je l'ai fait pour que vous ouvriez les yeux sur le genre d'homme qu'il était. Et il est tout à fait vrai que j'ai tenté de faire la même chose avec le Chevalier parce qu'il vous trompe et vous manipule. Mais tout cela, je vous l'ai déjà dit, mille fois, sans qu'en aucune manière vous n'écoutiez mes paroles. Je doute que ces mots laissés sur le papier n'y changent quoi que ce soit.

Si vous ne voulez me croire, laissez-nous au moins une petite chance d'être heureux ensemble. Tout ce que je souhaite c'est faire la paix avec vous, mon époux. Je vais rentrer seule et je ne veux plus me sentir ainsi trahie. Sensation qui ne m'a quitté pendant que vous vous perdez en ces amours frivoles, en ces favoris qui ne pensent qu'aux grâces que vous pourrez leur accorder. Pensez-vous réellement qu'ils vous aiment ?

Vous découvrirez, mon époux, que nous avons plus en commun que vous ne le pensez. Vous et moi sommes les victimes des jeux politiques de nos deux frères, que nous aimons par-dessus tout et respectons, mais qui n'en sont pas moins terribles quand ils mettent le futur de leur État par-devant notre bonheur sacrifié. Nous sommes les jouets de nos favoris et de tous ces prétendus amis qui ne veulent au fond qu'obtenir quelques faveurs et avantages et nous délaisseront quand ils auront obtenu tout ce qu'ils désirent.

Vous pensez le Chevalier différent ? Je vous assure qu'il ne l'est, pas plus qu'Effiat et tous les autres. Sans vous, ils ne sont rien. Songez donc au Chevalier, qui depuis qu'il est en Italie semble profiter de chaque instant, car il sait que vous ferez tout pour le faire revenir et même si vous n'y parvenez, vous vous assurez qu'il ait une bonne vie en exil. Combien peuvent prétendre à tant d'attention ? Certainement pas moi.

J'aimerais que vous ayez qu'un tiers de la tendresse que vous avez pour le Chevalier à mon égard, que vous me regardiez un peu comme vous le regardez. Je ne vous demande de m'aimer, je sais la chose impossible. Soyez seulement indulgent, acceptez mon offre de paix, acceptez que nous puissions vivre heureux ensemble. À défaut de nous aimer et de nous apprécier nous pourrions éviter de nous déchirer et de nous haïr.

Pour tout vous avouer, mon époux, lorsque j'ai constaté votre absence, j'ai cru que j'allais défaillir. La douleur est montée en mon ventre comme à chaque fois que vous me portez un coup ! N'est-ce pas le signe que nos discordes en sont la raison ? J'étais tranquille et apaisée auprès de mon frère et à peine la France retrouvée, je me tort à nouveau de souffrance.

Je ne puis continuer ainsi, pas plus que vous ne le pouvez. Ne croyez pas que votre corps accepte toutes batailles sans qu'elles ne vous en coûtent, vous aussi vous en souffrez je le sais, et si aucune douleur physique ne vous frappe, peut-être que cela finira par venir.

Je vous conjure de songer à nous deux, à accepter cette paix que je vous offre, et à considérer que nous puissions changer tous deux, que nous puissions cesser de nous affliger comme nous le faisons.

Devenons amis, je vous prie, j'en ai le plus grand besoin. Je sais à quel point vous êtes loyal à vos amis, combien vous êtes tendre, doux quand vous aimez, j'aimerais connaître cet homme-là, j'aimerais cesser de voir celui jaloux, colérique, cruel et mesquin, je voudrais vous aimer mon époux, et pour cela, j'ai besoin de votre aide.

13 juin 1670, Calais.

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