Lettre XXV, d'Henriette à Monsieur.

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Mon cher époux,

Je suis bien aise que vous m'ayez accordé ce voyage, je sais bien qu'il vous ai difficile de m'attendre en cette cité que vous n'aimez, en cette côte que vous trouvez grisatre et triste, mais ces eaux grises m'ont toujours rappelé cette patrie que j'ai dû fuir enfant et dont je porte le souvenir à la fois triste et à la fois joyeux. Je suis heureuse de retrouver l'Angleterre, on ne se rend compte à quel point votre pays natal vous a manqué que lorsque vous le retrouvez. Mon cœur se serre à l'idée de devoir en partir si vite.

Vous m'avez accordé trois jours et je vous ai dit que c'était trop peu pour ce que j'y ai à faire. Mon frère est heureux de me voir et ne veux parler de traité pour le moment, tout ce qu'il veut faire c'est me faire goûter en tous les plats les plus succulents, me montrer ses palais, me parler du pays, me montrer les spectacles anglais. Nous ne nous sommes vu en trop peu d'occasion, dès qu'il est parti reconquérir le trône, jusqu'à cet instant, je pourrais compter sur les doigts les jours passés ensembles.

Mon époux, vous n'êtes un homme cruel. Vous essayez d'en avoir l'air, de faire le méchant avec moi, pour me punir de crime que vous me croyez coupable. Je vous prie d'en croire autrement. Je n'ai jamais eu le souhait d'enfermer votre amant en prison, encore moins de l'éloigner de vous. Peut-être m'en suis-je plainte devant votre frère. Le Chevalier n'est pas gentil avec moi, vous avez pu le constater à plusieurs reprises et il est logique que je m'en plaigne n'est-ce pas ? J'aurais dû mesurer mes plaintes, les limiter à Madame de Lafayette et à mes amies.

Je vous assure n'être coupable de rien, et avoir même supplié votre frère de vous rendre le Chevalier quand vous vous êtes disputé si fortement avec lui. Je ne supportais pas plus que vous cet éclat que nous avions, et mon cœur se brise à l'idée que nous ne puissions-nous réconcilier. Le Chevalier est peut-être méchant envers moi, mais au moins, quand il était là, vous étiez capable de sourire, d'avoir l'air heureux, et même si ce n'était de mon fait, votre compagnie était alors infiniment plus agréable. Voyez comme il me manque à moi aussi. J'en suis venue à conclusion qu'il est nécessaire au bonheur de notre foyer et j'ai fait part à votre frère de ma déduction.

Hélas, il ne m'écoute pas plus qu'il ne vous écoute. Je pensais avoir son oreille, avoir sa compassion, son amitié et même son affection. Ne nous voilons pas la face, nous nous sommes tant disputé à ce sujet, jusqu'à en briser la vaisselle et terroriser notre personnel. J'étais amoureuse de lui, il est vrai, je le confesse, j'aurais aimé l'être de vous mais on ne décide pas qui l'on aime. Vous non plus n'avez réussi à m'aimer, avouez-le.

Je l'ai aimé mais lui, il ne m'a jamais aimé en retour. Je vous supplie de me croire. Lorsque je vous le crie, en larmes, vous ne me croyez mais peut-être qu'avec des mots vous finirez par y croire, peut-être qu'avec la distance vous finirez par comprendre, qu'à ce sujet comme à tant d'autres, je ne vous ai jamais menti. Je n'ai pu feindre de vous aimer, comment pourrais-je feindre de vous détester ?

Votre frère n'a jamais eu de geste déplacé envers moi, il s'est montré courtois, il a compris sans doute que j'étais malheureuse et a simplement voulu me garder auprès de lui, en la Cour, pour les besoins politiques. Je sais bien que vous comme moi n'êtes que des instruments pour sa politique, mais qu'y puis-je, si j'aime la France autant que lui et si le sort de celle-ci m'inquiète autant que le vôtre.

Car si je ne vous aime comme je le devrais, je ne vous détestes point, Philippe. J'ai mal quand je vous vois souffrir de la sorte, j'ai bien vu que vous étiez peiné, écrasé, déchiré par l'absence du Chevalier, que vous n'aviez que le dégoût de tout, la joie de rien depuis son départ, aussi, je ferais tout pour qu'il vous revienne, je vous l'assure.

J'ai ces mots pour vous pour vous montrer ma bonne volonté et dans l'espoir que nous pourrions enfin nous concilier, afin d'envisager un futur plus agréable en compagnie de l'autre. Pourriez-vous en faire de même ? Pourriez-vous essayer de m'aimer un peu, rien qu'un peu ? D'avoir de l'amitié pour moi et non de la détestation ? Je n'ai été une bonne épouse mais je peux le devenir, si vous m'en laissez la possibilité.

Tout ce que je vous demande, en geste prouvant votre bonne volonté, c'est de me laisser encore quelques temps avec mon frère, de ne vous plaindre à votre frère, de ne rien exiger de ma part si ce n'est d'être une bonne sœur envers Charles. Je le dois à la France, et si je n'arrive à ce traité, alors toutes les souffrances que nous avons vécu ces derniers mois auront été inutiles. Je vous prie, mon époux de comprendre, qu'il m'est nécessaire de rester encore en Angleterre et que ce n'est point pour vous contredire ou vous déplaire mais uniquement pour la France que je fais cela.

Je ne souhaites rien d'autre que la paix dorénavant entre nous. Pensez-vous que nous puissions y parvenir ?

27 mai 1670, Douvres.

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