Lettre LXXIX, de Monsieur à Elisabeth-Charlotte de Bavière

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Élisabeth, votre réponse possède la fraîcheur du printemps, certes votre franchise m'a un peu pris de court, mais j'ai désiré nous nous parlions sans détour et je serais quelqu'un de bien peu fiable si je ne le faisais à présent.

Ma vie peut vous paraître étrange, je le conçois, comme celle à la Cour, d'ailleurs. Nous avons nos habitudes, nos mœurs, plus encore, l'Étiquette dont je suis le fier auteur. C'est une suite de rituels pouvant étonner ceux y étant étrangers. Chaque action, inscrite dans un contexte précis, recèle un sens tout aussi précis et place chacun autour du Roi à l'endroit où il doit se trouver. La Royauté a toujours été une somme de rituels, c'est ce qui lui donne sa magnificence, mais également son pouvoir.

Notre vie est rythmée par l'Étiquette qui ne nous enferme pour autant. Contrairement à la Cour d'Espagne où tout le monde y est cadenassé, ici en France, nous jouissons une grande liberté tant que nous respectons l'Étiquette. Hormis cela, qui n'est ni plus ni moins que le respect de ses pairs et de l'autorité que Dieu nous a donné, chacun est parfaitement libre de faire ce qui lui chante. Enfin, en théorie.

Car ici comme partout ailleurs, un comportement sortant de l'ordinaire et des normes a un coût. Je suis de ceux qui ne font rien comme les autres, vous le constaterez bien assez vite. J'aime me maquiller comme une femme, porter des robes et des pierreries, me tenir et danser comme le font les dames, en réalité j'aime tous les atouts et les activités féminines. Je ne suis pas le seul homme à les aimer, seulement je suis le seul à le faire devant le reste de la Cour. Cela m'a valu bien des critiques, jamais en face, toujours dans le dos, en des murmures dont j'entends les échos sur mon passage.

Je ne veux vous effrayer, les rumeurs courent toujours où que vous soyez. Tenter de les fuir est parfaitement inutile, elles redoubleront en comprenant qu'elles ont atteint leur cible. Car la rumeur n'est rien d'autre que l'acte de méchanceté d'un jaloux. Les envieux ne s'en prennent qu'à ceux qui brillent, ceux qui sont trop différents, ceux qui dérangent par leur liberté et leur audace. Voyez-vous Élisabeth, je préfère être différent que banal, pas vous ? Être différent plutôt que me plier à une norme étouffante où je ne serais moi-même.

Au sujet de mes mignons et de mon favori, il me faut vous expliquer ce que vous avez déjà en partie deviné. J'ai en effet des amants exclusivement masculins, mais cela ne m'a nullement empêché de donner huit enfants à ma précédente épouse. Et contrairement à la plupart des hommes, je ne vous ferai jamais de bâtards, jamais je ne vous abandonnerais pour une autre femme. Ne pouvant convoler avec mon favori ou l'un de mes mignons, vous ne courrez jamais risque de me perdre ou d'avoir à supporter la présence d'un bâtard. Je sais que c'est un sujet qui vous inquiète en raison de votre père.

Pardonnez-moi, Anne m'a expliqué quelque peu votre situation familiale. Oh très brièvement, et je pense que vous compléterez ce portrait. Il me fallait savoir ce que je pouvais dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire, car je ne veux vous blesser inutilement. Mes paroles précédentes pourraient vous inciter à songer le contraire, n'en croyez rien, je ne cherchais qu'à vous démontrer que je connais votre peine et ne vous infligerais point ce genre de tourment.

Tout ce que je souhaite c'est que nous parvenions à nous entendre, que chacun trouve son compte dans cette union à laquelle nous ne pouvons, ni vous ni moi, échapper. Pour cela, il nous faut tout connaître de l'autre. Les mystères ne sont bons qu'en romance, lorsqu'on se fait la cour, mais vous et moi n'avons pas cette naïveté. Nous savons que le meilleur parti que nous puissions choisir est d'annoncer dès maintenant ses pires défauts, ses fêlures les plus importantes afin que l'autre nous protège de son mieux.

28 octobre 1671, Paris

A l'ombre du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant