Chapitre 27 : Ne cherche rien

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Je suis emmenée de force jusque dans un manoir situé en périphérie de l'effervescence du « Strip ». Un énorme portail en métal se dresse devant nous, gardant froidement une demeure aussi immense que terne. Pourquoi faut-il toujours que ce soit un manoir hanté ? Pourquoi est-ce que ça ne pouvait pas être une superbe villa avec piscine et vue mer ?

Le portail s'ouvre dans un grincement sinistre, bien évidemment j'ai envie de dire. Le type qui me traîne d'une poigne de fer n'est peut-être pas si riche que ça finalement, parce que je ne pense pas qu'huiler un mécanisme coute si cher que ça. Nous remontons l'allée de graviers avant d'arriver face à la grande porte en bois de l'austère palais. Le vieux ouvre le battant avant de nous engouffrer dans un immense hall d'entrée, décoré d'un tapis rouge et de multiples tableaux. Cliché parfait de la maison hanté, il ne manque plus que les esprits se réveillent la nuit pour venir me déranger dans mon sommeil, quoi que... ça m'arrive déjà.

- Tu feras ce qu'on te dit sans protester, autrement tu en payeras les conséquences. Et... rajouta-t-il avec un sourire carnassier. On n'est pas en Enfer pour rien, donc je te conseille de ne pas t'opposer à nous.

Le vieux m'entraîne dans un vaste salon aux grands fauteuils tous tournés vers un feu de cheminée. Et alors que je pensais ne trouver personne, une jeune femme se lève d'un canapé pour incliner respectueusement la tête. Ses cheveux noirs de jais glissent sur ses épaules bronzées, entremêlant ses boucles ondulées.

- Bonjour, Maître.

Dans sa voix flotte un accent hispanique qui ne semble même pas attendrir papi.

- Explique les règles de la maison à la nouvelle. Si elle fait un faux pas vous en subirez toutes les deux les conséquences.

Sans plus d'explications, le vieux bougre me jette au sol et tourne les talons pour quitter la pièce, tête haute. Non mais je rêve ?! Je me redresse prestement du parquet qui ne m'a pas fait que du bien, et me retourne vers la porte du salon, prête à en découvre. Mais alors que je m'apprête à sortir, une main m'entoure gentiment le coude. Par-dessus mon épaule, j'aperçois des yeux brillants de vert me fixer avec bienveillance.

- Ne fais pas ça.

La jeune femme me relâche et part s'asseoir sur un des grands fauteuils, m'invitant à faire de même. Je l'imite donc, bien qu'un peu réticente. Comprenez que je viens de me faire enlever, non mais parce que soyons franc : ce vieux n'est pas un gentil bonhomme qui héberge les gens égarés pour leur offrir des cookies. En tout cas, ça n'en a vraiment pas l'air. C'est plutôt le genre qui va découper ces personnes perdues avant de les mettre dans son congélateur pour ses repas. Heureusement, cette jeune femme semble en un seul morceau. A moins qu'il préfère la chair fraîche ? Oh mon dieu, il faut que j'arrête de psychoter !

- Je m'appelle Lidia, et j'ai été directement trouvée par monsieur Richard.

- Angèle, répondis-je simplement avant de m'appuyer sur mes cuisses pour me pencher vers la jeune femme. Que se passe-t-il ici ?

- C'est l'Enfer, enfin, je veux dire à proprement parler. Tout ce que tu peux imaginer de pire se trouve ici. En fait, ne l'imagine pas ! s'exclama-t-elle avec gravité. N'imagine rien, imaginer c'est être torturé. Il faut que tu saches, ce monde... il n'a rien à voir avec tout ce que tu as pu connaître auparavant. Nous faisons partie des victimes, nous nous faisons gouverner par les Démons qui ont réussi à se faire une place. Ne cherche ni pardon, ni pitié, ni espoir, tu n'en trouveras pas. Tout ce qu'il a de mieux à faire, c'est écouter monsieur et madame Richard.

Cette fille commence vraiment à me faire peur... Ok, concédons que je sois bien en Enfer, non mais c'est quoi ce délire ? Oui, je sais, c'est l'Enfer. Mais tout de même ! De plus, ça n'y ressemble pas ; pas de lave brûlante, pas de cris des damnés, pas de chaleur étouffante, pas d'odeur soufrée, et pas de château diabolique. Certes, personne n'est revenu de l'Enfer en clamant haut et fort : « Eh les gars, on s'est trompé ! En fait l'Enfer est à notre niveau, c'est Las Vegas ! ». Oui, voilà, si ça se trouve j'ai juste voyagé d'une ville à l'autre. Comment ? Là n'est pas la question puisque de toute manière dès... bientôt, je prends le premier vol pour rentrer chez moi.

Soudain, la porte du salon s'ouvre en fracas. Surprise, je sursaute et me tourne vivement vers celle-ci. Ou peut-être qu'on est bien en Enfer... le vrai Enfer. Vous savez, des fois il est important de revoir sa vision des choses, car je peux vous assurer que la personne qui se tient face à moi est bel et bien morte. Et pour cause, j'ai été sa passeuse.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant