Chapitre 42 : Les pots cassés

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Alastor fait un pas vers moi, ses chaussures cirées claquent sur le parquet, alourdissant encore plus le silence.

- Qu'avais-tu l'attention de faire, exactement ? me demanda-t-il d'une voix froide et dénuée d'émotions.

A question stupide réponse stupide, comme on dit. Et c'est plus fort que moi... J'ai risqué gros, j'ai perdu, donc je suis perdue.

- Ah parce qu'en plus d'être égocentrique tu n'es pas très intelligent. Mon pauvre... Ça ne doit vraiment pas être facile d'être toi au quotidien.

Une douleur dans mon poignet m'arrache inexorablement un gémissement. C'est alors que le petit corps menu d'Eve s'interpose face à Alastor. Devant son comportement, je fronce les sourcils. A-t-elle perdu sa jugeote pour s'opposer ainsi au regard destructeur du Diable ?

- Trop drôle ! s'exclama-t-elle avec un petit rire qui couvre le silence de mort. Tu verrais ta tête, Alastor... On t'a bien eu ! C'était une blague, ok peut-être qu'elle n'est pas très drôle, mais c'était pour s'amuser. C'est moi qui lui ai demandé de faire ça, juste pour te faire bisquer un peu. Tu te rappelles le gâteau que tu n'as pas voulu partager il y a 27 ans, eh bah je m'en suis pas remise.

- Ça suffit, Eve, l'interrompit-il sèchement.

La fillette rentre sa tête dans ses épaules, comme si elle venait de se faire gronder par ses parents, puis part se cacher derrière Alastor.

De nouveaux pas tonnent sur le parquet, rapprochant encore plus ce type de moi. L'air semble vibrer de danger, tous les convives retiennent leur souffle, il n'y a que mes petits gémissements plaintifs pour interrompre ce silence de mauvais augure.

- Oh pardonnez nous, Grand Maître, supplia soudainement une voix râpeuse.

Je détourne le regard de ma mort et aperçois Monsieur Richard s'extirper de la foule de spectateurs, rapidement suivi par sa femme qui me jette un coup d'oeil empli de menaces et de reproches pour le moins mortelles. Comme vous semblez le comprendre, tout le monde veut ma mort. Tous, sauf peut-être Lidia qui m'observe tristement depuis l'attroupement de Démons.

- Ne vous salissez pas les mains, nous allons régler ce problème et il ne se réitèrera plus jamais.

Monsieur Richard s'approche de moi comme pour m'attraper, mais il est stoppé d'un seul regard sombre de la part d'Alastor. Il se ratatine alors lui-même et je jurerais voir sa mâchoire tressauter tandis qu'il fuit tous les regards assassins de la part du public.

- Je vais régler ce problème moi-même, déclara Alastor en reposant son regard sur mon minable corps maintenu au sol.

Alors que jusque-là son visage avait été ferme et aussi glacial que le blizzard, il rayonne soudainement d'un grand sourire amusé. Si vous voulez mon avis, ce mec est un tordu.

Il s'accroupit devant moi, posant nonchalamment ses bras sur ses cuisses, le couteau pendant distraitement devant mes yeux.

- Tu as vraiment voulu me blesser avec ce joujou ? me demanda-t-il comme si je n'étais qu'une gamine de 5 ans.

- C'était pour te tuer, espèce d'enfoiré.

- Tes plans sont si machiavéliques que j'en ai des frissons d'effroi. Mais... commença-t-il en jouant avec la pointe de la lame. Ça aurait été vraiment dommage que tu te blesses avec cette lame.

Je n'ai pas le temps de riposter que le couteau se plante à un centimètre de mes yeux. Je louche sur la lame aiguisée, puis recule ma tête. Un soupir de soulagement m'échappe malgré moi, sans pour autant que mon coeur ne cesse ses battements effrénés. C'est alors que je le remarque : son sourire moqueur. Il étire le coin de ses lèvres tandis que ses yeux pétillent de malice.

- Je vous en conjure, arrêtez ce massacre ! s'exclama une voix forte mais empreinte de panique.

Je lève les yeux tout en me gardant de la lame et aperçois la corps rebondi de Tantine, avec sa belle robe à fleurs, s'imposer parmi la foule. Alastor, quant à lui, soupire d'exaspération et ne prend même pas le peine d'observer la nouvelle arrivante qui vient de s'interposer.

- Angèle est ma nièce, ayez pitié. Elle est jeune, elle n'est même pas supposée être ici. Je ferai ce que vous souhaiterez mais laissez ma nièce tranquille.

- Vous feriez ça ? répéta-t-il avec un intérêt soudain, portant enfin son attention sur ma tante.

- Oui ! Tout ce que vous voudrez.

- Désignez quelqu'un dans la salle, peu importe qui. Vous pouvez la haïr ou l'adorer, cela peut même être votre nièce. Ne vous en faites pas, aucun mal ne sera fait à votre élu.

Tantine semble complètement perdue, c'est la première fois que je la vois dans un tel état d'angoisse. Elle plonge son regard désespéré dans le mien comme pour y chercher de l'aide. Cependant, je ne vois pas en quoi je peux lui être d'une quelconque utilité, ainsi plaquée au sol et les mains liées.

- Alors ? J'attends, et je n'aime pas attendre.

Pour toute réponse, Tantine lève son bras tremblant et pointe du doigt un homme de la cinquantaine, vêtu d'un smoking blanc, qui observe la scène d'un regard noir.

- Parfait ! Angèle... s'adressa de nouveau à moi Alastor. Tu es nouvelle alors tu es pardonnée. Mais il y a une chose primordiale à savoir en Enfer, les gens sont déjà tous morts. Malheureusement pour eux... il y a pire que la mort.

Soudain, d'un geste souple et rapide, Alastor saisit le couteau planté devant moi afin de le lancer en pleine tête de l'homme que Tantine a désigné quelques seconds plutôt. Je pousse un cri d'effroi et le sang se met à dégouliner sur le visage de l'homme à jamais pétrifié dans la douleur, avant que son corps raidi par la surprise ne tombe au sol dans un gros « boom ». Se produit alors un phénomène étrange : le sang qui couvre son visage se répand sur tout son corps tels des serpents affamés, et une fois qu'il en est complètement recouvert il semble devenir lui-même du sang avant de s'infiltrer dans le parquet, littéralement.

Tous les convives se jettent des regards soit de peur soit de haine, mais aucun n'ose prononcer une syllabe. C'est la voix tremblante de Tantine qui brise le silence mortuaire :

- Vous aviez dit que...

- J'ai menti, la coupa Alastor avec moquerie. Emmène-la.

- Non !!

Soudain, le type qui me maintient au sol se dégage légèrement de mon dos. J'en profite pour me débattre, mais il m'immobilise rapidement avant de me remettre sur pied, mes mains toujours en torsion dans le dos. Du coin de l'oeil, j'aperçois Tantine vouloir nous suivre hors de la salle, mais la foule que nous fendons avec facilité se referme sur elle en l'empêchant de nous poursuivre. Les voix s'élèvent, les interrogations sont sur le bord des lèvres de tous les convives, et les messes basses tantôt moqueuses tantôt réprimantes glissent jusqu'à mes oreilles. C'est ainsi que je suis guidée hors de la salle de gala : seule avec Douleur et Mort.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant