Chapitre 51 : Retour à la maison

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La maison est calme, mes parents ne semblent pas encore rentrés. C'est parfait, j'ai besoin d'être seule. Comprenez mon envie de faire une pause : j'ai été malmenée entre deux mondes avant qu'on me retourne le cerveau. Comme toute bonne confiture, je dois me reposer.

Alors avec une grande inspiration, je monte dans ma chambre et me laisse tomber sur mon lit en soupirant. Je crois bien n'avoir jamais ressenti autant de soulagement en regardant mon plafond blanc. C'est un beau blanc, lisse et sans fissure. Je pense qu'on néglige trop souvent les plafonds, mais c'est tout de même eux qui nous protègent.

Sous l'épuisement, ma tête roule sur le côté et mes yeux tombent sur le cadre en bois contenant la photo de ma jumelle et moi à la plage. Elle me manque affreusement... Avec elle à mes côtés, rien de tout ça ne serait arrivé. Malheureusement, la petite voix dans ma tête me chuchote que je suis à l'origine de toute cette pagaille. C'est moi qui m'acharne à réaliser l'impossible.

Je soupire en frottant mon visage et laisse mollement retomber mes bras sur le matelas. Depuis quand je n'ai pas changé mes draps ? Faut-il que je le fasse ? Et mieux vaut remettre les mêmes ou en prendre des autres ?

– Réveille-toi, l'Insignifiante !

Je sursaute à cette intrusion silencieuse et me redresse aussitôt. Au pied du lit se tient Cassiopé, notre Esprit de Famille aux très longs cheveux, qui me pointe d'un doigt accusateur.

– Pour qui tu te prends ? Tu n'es rien !

Pensez-vous qu'elle m'appréciera un jour ? Je ne crois pas, car lorsqu'on déteste quelqu'un pour aucune raison il y a peu de chances que cela change. Au moins, elle ne m'a pas sorti son dictionnaire de qualificatif affectueux.

– Tu n'as aucun droit, tu n'es qu'une créature monstrueuse, sans aucune valeur ni importance, aussi banale qu'un vulgaire torchon et aussi répugnante qu'une assiette mal assortie.

Autant pour moi, il était juste un peu tôt. Mais au moins, je partage les insultes avec de pauvres torchons et assiettes.

– Qu'est-ce que tu me veux, Cassiopé ?

– Ne me parle pas comme ça ! Respecte-moi, je suis votre Esprit de Famille.

– Oh mais excusez-moi, votre Altesse sérénissime, je ne souhaitais point vous offenser.

Soudain, son visage tiré par la haine se radoucit avec sincérité. J'avais oublié ce fait...

– Merci beaucoup, Angèle, tu es pardonnée. Mais pas pour le mal que tu fais à Gabriel !

– Gabriel ? Je ne lui ai rien fait.

– Il était furieux à cause de toi ! Il n'a même pas voulu que je le réconforte. Tout ça c'est de ta faute, vilaine créature !

Je ne sais pas ce qui est pire : se faire réveiller par un mort en colère ou se faire insulter par un Esprit capricieux ?

– Ne t'approche plus de lui ! Tu le contraries, et je n'aime pas le voir contrarié. Il s'efforce de s'occuper de toi, qui ne peux même pas regarder où tu marches. Mais en échange, tu le mets en colère. Il n'y a qu'un monstre sans coeur pour agir de la sorte ! Tu n'es pas digne de son cadeau.

– Ecoute, j'ai eu ma dose de complication divine pour le mois, donc va-t'en s'il te plaît.

Profondément outrée, elle ouvre grand la bouche et pose sa main sur son coeur tout en me dévisageant comme si je venais de tuer un chiot.

– Comment oses-tu ?

– Comment j'ose ? répétai-je, prise d'un élan d'agacement profond. Eh bien j'ose, voilà tout.

Je me lève avec exaspération et arrache la croix autour de mon cou pour la balancer aux pieds de Cassiopé.

– Tu vois, j'ose. J'en ai ma claque de vos histoires divines ! Tout ce que je souhaite c'est retrouver Victoire, alors pourquoi tout le monde semble me porter un intérêt bien trop minutieux pour être innocent ? Donc va-t'en, Cassiopé. Toi, comme tous les autres, m'exaspérez. J'ai besoin de temps, ce que je vis n'est pas facile, d'accord ? Je fais comme je peux pour me démerder. Et là, j'ai besoin que tout le monde dégage !

A mes mots, la silhouette de la jeune femme enfantine s'évapore dans l'air ambiant. Je soupire lourdement avant de me laisser retomber sur mon lit, les mains sur mes yeux. Il se peut que je sois un peu sensible et facilement irritable en ce moment, à qui la faute ?

Et si je n'arrivais pas à ramener ma soeur ? Si cela est bien impossible comme tout le monde le prétend ? Et si je ne pouvais même pas la voir ? Pourrais-je seulement lui faire mes adieux comme il se doit ? Peut-être ne pourrais-je jamais lui avouer à quel point je l'aime, à quel point elle est essentielle à ma vie, et... à quel point je suis perdue sans elle, voguant sur un radeau qui commence petit à petit à prendre l'eau.

Dans un soupir désespéré je presse mes paumes sur mes orbites. Je ne reverrai jamais Victoire. Expulsant tout l'air de mes poumons, je laisse glisser mes bras le long de mon corps, m'exposant de nouveau à la vue de ce beau plafond blanc. Dans ce silence, j'entendrais presque mes questionnements et mes émotions s'entrechoquer. Puis par réflexe — que j'ai pris l'habitude d'avoir, ou du moins il fut un temps — je porte ma main à mon cou. Toutefois, je n'y trouve aucune croix, seulement ma peau rendue sensible par un phénomène que je n'explique pas. J'ai sûrement cassé le fermoir en l'arrachant sous la colère, ma mère ne va pas être contente lorsqu'elle le découvrira. Je suis à bout.

Pressant mon crâne contre mon oreiller, je me pince les lèvres afin de contenir mes émotions qui font surface après plusieurs jours bien trop éprouvants pour une seule personne. Malheureusement, je sens une larme glisser le long de ma pommette. Pardonne-moi, Victoire. J'ai échoué. Enervée contre moi-même, j'efface rageusement ma larme et sèche mes yeux, avant de vivement me redresser et me figer. C'est si compliqué d'être tranquille ? D'avoir du temps pour soi ?

– Dégage de ma chambre, menaçai-je l'intrus avec hargne.

– Range tes armes, miss, je viens en paix.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant