Chapitre 71 : Ruelle sombre : volume 2

20 4 0
                                    

Une terrible migraine me tire d'un étrange sommeil avant de disparaître en quelques secondes, dévoilant des bruits de pas, des rires de gorge, des hurlements enthousiasmes, des vrombissements de moteurs et de violents coups échangés. J'y suis ! Heureuse, je redresse mon buste et prends une grande bouffée d'air m'apportant tout un tas de senteurs typiquement infernales telles que la fumée de toutes sortes de produits consommables, le parfum à outrance, la transpiration excessive, l'essence aigre ou encore la terre chaude. Un sourire aux lèvres, je me lève et considère mon environnement surplombé par un éternel ciel orangé. Des bâtiments, notamment des palaces et de luxueux casinos, se dressent de chaque côté du boulevard de la débandade. Comme lors de ma première visite, des courses de voitures sportives font vibrer un public euphorique, des personnes peu habillées abordent les passants en minaudant, des groupes se battent sans aucune retenue à la sortie d'un casino, mais surtout, j'assiste à un vrai défilé de costume trois pièces et de robes hors de prix. Derrière ces Démons aux millions, des âmes en peine se traînent.

Je considère les lieux un peu plus en détail, à la recherche d'un coin tranquille. Je vous avoue que ma dernière expérience ne m'a pas vraiment plu, alors j'aimerais éviter de la réitérer. Et puis je suis là pour passer quelques jours de vacances, là où Gabriel n'aura aucune emprise sur moi et où il est possible que je retrouve ma famille. Je sais... l'Enfer ça ne fait pas rêver comme endroit touristique, mais le facteur « psychopathe à mes trousses » me fait fuir tous les attrape-touristes. Néanmoins, vous avez raison, ça reste l'Enfer. Je n'ai pas de nom ici, je ne suis rien, et les gens qui ne représentent rien finissent par en pâtir. Donc il vaut mieux que je me trouve un petit coin où me réfugier en attendant... je ne sais pas quoi, on verra ça plus tard. Et puis si ça se trouve, c'est mon jour de chance ; je vais tomber sur un riche Démon ivre mort et vais pouvoir lui dérober ses vêtements incognito. Et hop, appelez moi Madame la Marquise. Je peux paraître horrible, je le concède, mais j'estime avoir le droit à mon petit moment de gloire, car voyez vous, ça fait plusieurs jours que je subis ma vie et celle des autres. Et devinez quoi ? L'Enfer est le parfait endroit pour oublier et se faire oublier. Casino et hôtels me voilà ! Je pourrais rajouter « à moi la gloire » mais il faut rester un peu réaliste : je n'ai pas d'argent. Néanmoins, je peux tout de même entrer dans les casinos et les hôtels, avant de me faire refouler... Mais c'est un détail.

À grandes enjambées, je me dirige vers un hôtel arborant un étrange style futuriste composé de nombreux néons et d'une devanture grise. Je jette un coup d'oeil à l'enseigne clamant en couleur :  « Hôtel 2000 ». Pourquoi pas, je ne juge pas, après tout le bâtiment en face porte fièrement le nom : « Rien que pour vous... » agrémenté de tout un tas de nus en noir et blanc. Accélérant le pas, je me glisse à l'angle de l'Hôtel 2000, découvrant une ruelle aux lampadaires clignotants éclairant partiellement la chaufferie de l'établissement. Evidement... Vous savez déjà ce que je pense des ruelles sombres et des princesses en détresse, mais celle-ci est de loin la plus terrifiante. Car j'ai beau avoir un regain de confiance et le liberté, nous sommes en Enfer. Les Démons ne sont pas tous de gentils nounours et je ne suis pas sûre que Démon et ruelle sombre fassent bon ménage lorsqu'on m'inclue dans l'équation.

Je jette un coup d'oeil vers l'agitation du boulevard, puis commence à fouiller la chaufferie très mal éclairée, à la recherche d'un semblant d'habit me permettant de ne pas me faire ramasser comme un vieux sac poubelle. Je dégage plusieurs cartons détrempés à l'aide de mon pied et regarde autour d'une benne à ordures si quelque chose d'intéressant n'en est pas tombé. Malheureusement, je ne récolte qu'une sale odeur de déchet. Derrière moi, j'entends les moteurs rugir et les Démons crier ; rien qui ne me concerne, donc rien d'inquiétant pour le moment. Je continue mes recherches peu fructueuses si ce n'est pour ouvrir une usine de recyclage de canettes ou de valorisation des déchets plastiques.

Soudain, j'entends du verre se briser dans mon dos avant qu'un gémissement ne s'engouffre dans la ruelle sombre. Le souffle court, je m'empresse de me cacher derrière la benne à ordure de l'hôtel. L'ignoble odeur des déchets en tout genre me pique autant les narines que les yeux. J'aurais apprécié que mon premier contact en Enfer ne soit pas avec cette charmante demoiselle puante, aussi intime soit-il. Je me colle au mur en briques froides et contemple la scène qui s'offre à Madame Poubelle et moi.

Un homme vêtu d'un ample jean tout troué et d'un t-shirt taché de je-ne-sais quelle substance, maintient, par la gorge, une jeune femme gémissant dans sa robe en satin rouge, du moins... ce qu'il en reste, car le noble tissu est complètement déchiré, le bustier tombant à moitié sur une poitrine griffée.

– Je te promets, Marrow, je vais payer, sanglota la jeune femme.

– Je me fous de tes promesses, je veux l'argent, la menaça le fameux « Marrow » en rapprochant son visage de sa victime pour plus d'effet.

Celle-ci tremblote sous sa peur et ses sanglots, fuyant le regard du type débraillé. La main de ce dernier se resserre autour du cou de la femme qui ne tente même pas de se dégager.

– L'argent, répéta-t-il d'un ton sans équivoque.

– Tu l'auras bientôt.

– J'ai assez attendu !

Avec un geste vif et puissant, Marrow attrape le reste de bustier de la femme et l'arrache sous le gémissement terrifié de celle-ci. L'homme se rapproche encore plus de la dame pour lui chuchoter quelque chose que je ne parviens pas à percevoir, mais je la vois trembler de plus belle avant de l'entendre le supplier en sanglotant désespérément. La sang pulsant l'effroi dans mes veines, j'assiste à la scène, impuissante. L'homme arrache violemment un nouveau pan de la robe de sa victime terrorisée dont les larmes inondent ses joues, mais Morrow n'en a que faire et se jette sur la poitrine de la femme. Celle-ci, figée par la peur, ne parvient pas à s'échapper des griffes de ce sale type. Quant à moi, je suis de plus en plus horrifiée et paniquée. Que faire ? Je ne peux pas le laisser impuni, mais je ne peux pas non plus risquer de subir le même sort...

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant