Chapitre 98 : Paillettes

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Ça se termine comme ça ? Gabriel a quitté l'Enfer et celui-ci part en miettes ? Non, ça ne peut pas se terminer ainsi. Pourtant... les hôtels et restaurants tombent toujours en ruine, les uns après les autres, délaissant tout le luxe qu'ils habitaient. Seules quelques lumières autour de nous persistent, bien que vacillantes. Plus aucun Démon ne foule le sol excepté les 6 qui nous encerclent toujours silencieusement.

Je jette un coup d'œil circulaire à tout le boulevard. C'est la même chose partout. L'Enfer semble seulement lutter pour se maintenir dans notre périmètre, du moins... les quelques souvenirs de l'Enfer persistent dans un périmètre de 20 mètres. Les néons clignotent, indiquant toujours l'entrée luxueuse des casinos, le bas des bâtiments garde de leur splendeur même en étant amputé de leur hauteur, la verdure persiste bien que le feuillage ploie et le goudron lézarde autour de nous en préférant se diriger vers l'obscurité à quelques mètres de là.

Je porte mon attention sur ma jumelle qui croise mon regard avant de tristement le poser sur Alastor. Celui-ci tient à peine sur ses jambes et peine à respirer.

– Alastor, murmurai-je d'inquiétude en me rapprochant de lui.

Je capture son regard et la peine que j'y lis me fait reculer d'un pas.

– Je suis tellement désolé...

Soudain, les quelques bâtiments qui tenaient le choc s'effondrent dans un nuage de poussière qui finit par disparaître pour ne laisser place qu'à l'obscurité. La seule chose qui semble tenir le coup est un mur se dressant parmi l'obscurité naissante. Ce mur... je suis sûre de l'avoir déjà vu. Néanmoins, mon esprit chasse immédiatement ce questionnement.

Entendre le gémissement d'Alastor me fait le même effet qu'avaler des aiguilles. Je m'empresse donc de prendre son visage entre mes mains et de plonger mon regard dans le sien.

– Je t'en prie, ne meurs pas, le suppliai-je au bord des larmes.

– Je... Je ne vais pas mourir, lâcha-t-il faiblement.

– Angèle...

Le triste soupir d'Eve attire mon attention, et lorsque mes yeux rencontrent les siens, je ne peux m'empêcher d'avaler une deuxième poignée d'aiguilles.

– Tout... ça, ce n'est que des paillettes. L'Enfer... ce n'est ni beau, ni joyeux, ni... conviviale, lâcha-t-elle en posant son regard derrière mon épaule comme si cela lui coûtait.

Je me retourne et croise la peur de Victoire. Elle m'observe de ses grands yeux de biche, les lèvres tremblantes. Je me précipite vers elle pour poser mes paumes sur ses pommettes qui... qui se fissurent. Des larmes perlent sur ses joues et un sanglot lui échappe. Je suis pétrifiée. Non... Je venais à peine de la retrouver, nous... nous avions des projets. Ce n'est pas juste !

Lorsque je prends une grande inspiration, je réalise que je sanglote moi aussi et que des larmes coulent sur mes joues. Immédiatement, je prends ma jumelle dans mes bras et elle me rend mon étreinte au centuple.

– Je ne veux pas que tu partes... me lamentai-je.

– Moi non plus. Je... Je voulais qu'on ait notre villa et nos chiens.

Un nouveau sanglot m'échappe et j'enfouis mon visage dans le cou de ma sœur, comme si ça allait me cacher de la réalité.

– J'ai peur, Angèle... avoua-t-elle d'une voix tremblante.

Je me recule de Victoire pour pouvoir la regarder en face, contemplant ses yeux injectés de sang et ses joues trempées.

– J'ai peur d'être seule, de ne plus jamais te revoir.

– On va se revoir, lui promis-je. On se reverra toujours. Regarde, je t'ai promis de te revoir la dernière fois et nous voilà ensemble. Je trouverai une solution.

Essuyant ses larmes, ma sœur hoche la tête tout en prenant une inspiration saccadée. Je lui offre un sourire confiant malgré la tête affreuse que je dois avoir, et lui dis ce que je n'ai pas eu le temps de lui dire la dernière fois :

– Je t'aime, Victoire. T'es la meilleure jumelle que je pouvais avoir, et tu n'imagines pas à quel point tu as illuminé ma vie.

– Moi aussi, je t'aime ! affirma-t-elle avant de se jeter dans mes bras pour m'éteindre une fois de plus.

Puis elle se recule de moi, et je remarque que son corps entier est couvert de fissures. Néanmoins, elle s'avance vers Alastor comme si elle n'allait pas se briser d'une seconde à l'autre. Il relève faiblement la tête vers elle, le souffle lourd, et lui offre son plus beau sourire. Victoire rougit aussitôt, mais un sourire illumine aussi son visage.

– Merci beaucoup de m'avoir ramenée ici et permise de revoir Angèle. J'oublierai jamais ce que tu as fait pour moi.

Son regard dévie ensuite vers Ruben qui se trouve dans le même état qu'elle, ou pas tout à fait... ses joues à lui commencent à partir en petit patch de cendre. Néanmoins, il nous sourit comme s'il n'allait pas partir en fumée. Tous les deux échangent un sourire, puis Ruben tourne la tête vers son ami qu'il n'a jamais cessé de soutenir. Alastor le regard de son air profondément navré, mais Ruben lui offre une expression conciliante qui fait rouler une larme sur la joue du Diable.

– Tu es admirable, Alastor, avoua-t-il, la voix enrouée par le chagrin qu'il tente de dissimuler. Moi non plus je n'oublierai jamais ce que tu as fait pour moi. Tu m'as sauvé, maintenant, il faut que tu me laisses partir.

Alastor souffle difficilement, le chagrin lui obstruant la gorge, puis il pose son front contre son ami et ferme les yeux. La seconde d'après celui-ci se décompose en une centaine de morceaux de cendre qui virevoltent au vent avant de disparaître. Eve s'empresse d'asseoir Alastor dont le corps tombe de fatigue et de chagrin.

Victoire assiste à la scène en pleurant silencieusement, puis se retourne une dernière fois vers moi. Ses bras commencent déjà à se démanteler. Sans réfléchir, je me précipite dans ses bras et explose en larmes. Le cœur palpitant, les membres tremblants et sanglotant de façon incontrôlable, je laisse libre cours à ma peine. C'est alors que le murmure de Victoire glisse jusqu'à mon oreille :

– Ne m'oublie pas.

Puis la seconde d'après, je m'écroule en avant. Je pousse un hurlement, évacuant toute cette injustice et cette frustration, avant de me couvrir le visage en tentant vainement de dissimuler mes pleurs.

– Je suis désolé... entendis-je dire Alastor de sa voix embuée par notre peine partagée. Tellement désolé.

Il n'y a plus rien à part nos sanglots qui couvrent le bruit des effondrements en arrière plan tandis qu'une odeur de souffre s'insinue dans mes narines et qu'une chaleur glisse sur ma peau.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant