Le premier chapitre se compose, sans surprise, d'un fond blanc immaculé et d'un texte des plus étranges.
« De toute mon existence, je n'ai vu de pareille créature. Je ne vous la décrirai pas car sa beauté m'appartient, mais je vous laisse l'imaginer. Elle rayonnait de pureté et de douceur, sa famille l'a rendu parfaite pour moi.
J'étais là le jour de ses 10 ans. Qu'est-ce qu'elle a grandi... Et pourtant elle n'arrivait pas à voir plus haut que sa soeur, elle me faisait rire. Ses petits yeux verts et innocents voulaient voir. Elle a toujours voulu voir. Une fois qu'elle sera grande, je lui montrerai. Pour le moment, je veille sur elle et sa lumière. »
Une sueur froide glisse dans mon dos, tandis que je clique au hasard sur un autre chapitre.
« Mon frère a osé poser ses mains souillées sur sa pureté. Il n'en avait pas le droit ! Elle m'appartient. Mais je le reconnais bien là, à toujours désirer ce qui est à moi. J'étais furieux. Et si ses yeux de biche ne s'étaient pas posés sur moi, m'inondant de leur pureté égarée, je m'en serais pris à mon frère. Malheureusement, je ne voulais pas qu'elle le voit, que sa noblesse soit atteinte par les châtiments que mon frère mérite. Alors je l'ai ramené, je ne voulais pas la briser. Elle est si fragile, et je suis le seul capable de prendre soit d'elle. »
Ne voulant toujours pas avouer mes hypothèses aussi probables que terrifiantes, je passe à un autre chapitre.
« Je lutte contre mon frère, contre sa mesquinerie. Il lui tourne autour, tente de l'attirer dans ses filets, alors je me battrai pour l'avoir. Je n'ai pas peur de le perdre lui, mais je ne veux pas la perdre elle. Sa lumière me revient de droit, lui n'en est pas digne. Toutefois, je crains qu'elle ne s'ébranle. Les gens m'échappent et lui échappent. J'ai peur que sa lumière vacille, alors je me bats. J'arracherai l'emprise qu'a mon frère sur elle, je suis prêt à tout. Elle a toujours été à moi, pas question qu'une seule partie de son âme lui appartienne ! »
Me voiler la face ne sert à rien, et pourtant... je ne veux toujours pas admettre la vérité. Guidée par une curiosité malsaine, je clique sur un autre chapitre.
« Je haïs mon frère, mais ce n'est pas nouveau. Néanmoins, elle est enfin revenue. Il fallait que je sois là, il fallait qu'elle l'oublie, qu'elle croit en moi comme elle l'a toujours fait. Il ne doit pas exercer une emprise sur ce qui m'appartient, sa lumière est à moi. Elle a besoin de moi, de croire en moi, elle doit l'oublier. Il n'y a que moi qui peux répondre à ses désirs, il n'y a que moi dans sa vie. Alors pour lui prouver de nouveau ma bonne foi, je lui ai amené des biscuits à la fraise. Je savais qu'elle adorait la confiture de fraises, je le connais mieux que personne. Depuis toute petite, elle le clame : elle adore la confiture de fraises mais déteste celle à la rhubarbe. Elle est à moi, personne d'autre n'a de droit sur elle. »
Une assourdissante détonation résonne en même temps qu'un flash illumine tout le quartier. Mon ordinateur archaïque s'éteint brusquement, reflétant mon visage horrifié dans son écran noir. Ce n'est pas possible, il n'aurait jamais... Depuis le début. Gabriel...
Je passe une main tremblante sur mon visage avant de plaquer les mèches sur le haut de mon crâne, mon regard perdu dans mon reflet terrorisé. Comment Gabriel ose-t-il ? Comment peut-il...
Les muscles engourdis par le choc, je me tourne pour appuyer mon dos contre la chute de lit. De toute manière, sans électricité, mon ordinateur ne redémarrera pas. Et puis je ne veux pas qu'il redémarre, je ne veux pas continuer à lire ces... qu'est-ce que c'est d'ailleurs ? Cette histoire bien trop réelle ? Ce journal intime ? Les pensées d'un psychopathe ?
Comme attiré, mon regard se porte sur le gros livre de ma bibliothèque dont le dos vert est abîmé par l'âge et marqué par des lettres dorées y inscrivant : « BIBLE ». Prise d'un élan tant de rage que de haine, je me lève fougueusement et m'avance à grandes enjambées vers ma bibliothèque pour en extraire violemment ce bouquin. Celui-ci tombe au sol dans un bruit sonore témoignant de son propre poids et du ramassis de conneries qu'il contient. À un mètre, mon collier traîne toujours par terre et je n'ai pas l'intention de le ramasser. Les poings serrés et le regard dur, je ne bouge pas, paralysée par la fureur qui bout en moi. Je me suis laissée berner ! J'ai été si stupide, comment ai-je pu... Je sursaute soudainement en entendant une cascade de bruits similaires en provenance de ma bibliothèque. En me tournant vers celle-ci, je réalise que mes autres livres se sont couchés, maintenant qu'ils ne sont plus maintenus par un poids lourd. Je fusille du regard le poids lourd en question, comme si cela allait me permettre d'extérioriser mon ressentiment vis-à-vis de ce menteur, tricheur, pourfendeur, égoïste, psychopathe, ignoble... monstre !
Envahie par mes émotions, je donne un coup de pied dans le gros livre à terre. Sa solide couverture d'un affreux vert s'ouvre brutalement, entrainant avec elle de nombreuses feuilles très fines dont certaines se déchirent ou se froissent sous le choc. Je les arracherais bien avant de les brûler et faire une danse de la joie, mais je me retiens. Mes parents vont me détester... Et moi je haïs Gabriel !
Avec hargne, je quitte ma chambre pour me précipiter dans la salle de bain. Je claque la porte par inadvertance, puis la verrouille brusquement, faisant cogner le loquet métallique. Une fois au calme, je m'avance vers le lavabo pour m'y appuyer et prendre de profondes inspirations, avant d'allumer la lampe à piles du miroir. Refusant de considérer mon reflet dans celui-ci, mon regard tombe sur mes jointures blanchies par la tension de mes mains fermement agrippées à la céramique blanche. Mais pas seulement, mes yeux remontent sur mon avant-bras soigneusement bandé. L'horreur de ma découverte les avait occultées. Avec précaution, je commence à défaire la bande, libérant petit à petit mon bras jusqu'à laisser entrevoir ma peau. Une fois le bandage et la compresse tachée de sang dans l'évier, je constate avec stupéfaction que plus aucune trace n'abîme ma peau. J'y passe mes doigts pour vérifier mais ne rencontre qu'un plat uniforme. Intriguée, j'inspecte les griffures sur ma poitrine et ma jambe, ainsi que mes morsures au mollet. Toutes mes blessures ont subi le même sort : guéries par je-ne-sais-quel tour de magie. Au moins quelque chose de positif dans tout ce bourbier. À ce constat, je pousse un lourd soupir contenant toute mon aversion et mon emportement pour Gabriel. Et... une larme m'échappe, puis une autre, et encore une, jusqu'à ce que mes joues se retrouvent complètement inondées. Le coeur serré, je respire par à-coup, ne tentant même pas de réprimer mes sanglots. Accablée, je me laisse glisser jusqu'au au sol, toujours agrippée au lavabo comme si celui-ci allait m'aider à tenir le choc. Puis je finis par lâcher mes mains, laissant le poids de mes bras les emporter, avant de m'adosser au rebord de la baignoire. J'entoure mes jambes et pose mon front sur mes genoux, tandis que mes épaules sont prises par les soubresauts de mes sanglots. Mon coeur me serre douloureusement et les larmes coulent sur mes cuisses. Mais je ne fais rien, enchâssée dans mes émotions.
Comment peut-il penser de telles choses de moi ? Comment prétend-t-il avec autant de véhémence avoir un quelconque droit sur moi ? Mais s'il n'y avait que ça... Gabriel m'observait, m'étudiait depuis le début. Il a attendu le moment opportun pour se présenter, pour être sûr que je l'accepte. Et moi, petite sotte, je... Un sanglot comprime mes poumons et je dissimule encore plus ma tête, désirant la cacher aux yeux de tous. Si seulement tu étais là, Victoire... Si seulement ce satané Démon ne t'avait pas poussée au suicide. Peut-être que tout ça aurait été différent ?
Un soupir m'échappe puis un bruyant sanglot. Je ne me suis jamais sentie aussi seule. Je pourrais appeler Anaïs, je sais que je peux compter sur elle pour accourir au moindre problème, mais... elle ne croira jamais Gabriel coupable. Tout comme j'ai persisté à lui faire confiance alors que les preuves l'incriminant s'accumulaient ! Il y a aussi Eve, nous nous sommes toujours bien entendues toutes les deux, mais... son soutient inconditionnel et sa grande affection envers Alastor l'incite à la virulence dès que Gabriel est évoqué. Si seulement tu pouvais être là, Victoire... J'ai tant besoin de toi, de quelqu'un de stable et optimiste sur qui me reposer. Je me sens dériver...
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De l'Autre Côté
Fantastique« Vous connaissez l'expression « être une grenouille de bénitier » ? Eh bien je peux vous assurer que tous les membres de ma famille sont des batraciens. Par là j'entends : croix en folie et messes à gogo. Ma famille est si religieuse que Satan lui...