Chapitre 69 : Satan, Satan, Satan

15 3 0
                                    

M'attendant à être poursuive puis mentalement torturée par Gabriel, je suis heureuse de rapidement constater que ce n'est pas le cas. Mais je ne me leurre pas, un psychopathe ça frappe à n'importe quel moment. Néanmoins, j'ai d'autres chats à fouetter et le minou en question s'appelle Satan.

Mon plan est simple — et peut-être une preuve de mon désespoir — : faire un cercle de sel, placer 6 bougies autour, appeler trois fois ce Satan de mes deux, répéter des prières en me munissant de symboles religieux pour l'affaiblir, l'interroger sur ma soeur et lui balancer de l'eau bénite dessus en lui ordonnant de disparaître à jamais, et accessoirement venger la mort de Victoire. Non, ne dites rien... Je sais que ça a l'air minable, et ça l'est sûrement, mais c'est une manoeuvre désespérée. Et puis qu'est-ce que je risque outre le fait d'appeler un Démon tueur à moi ? Rien, exactement.

Je fourre ma main dans ma poche, mes doigts rencontrant aussitôt ma croix. Elle est toujours là... il ne manque plus que le sel, les bougies et l'eau ! Décidée, je file vers la supérette la plus proche pour acheter 500g de sel, un litre d'eau, ainsi qu'un lot de bougies et un briquet. En payant, la vendeuse me jette un regard curieux, mais je ne compte pas lui révéler mon projet démoniaque ou alors elle risque d'appeler la police. Munie de mes emplettes, je marche jusqu'à un terrain de basket vide et isolé, là où personne ne me verra invoquer un Démon. Dis comme ça, ça fait très satanique. Mais rassurez-vous, je laisse les biquettes et les femmes là où elles sont.

Je pose les affaires sur le goudron, en lequel je fais confiance pour ne pas qu'il brûle s'il se passe quoi que ce soit, et prends la bouteille entre mes mains. On dit qu'il suffit d'y croire et le type du forum l'a lui-même affirmé. Alors ça ne doit pas être si sorcier de bénir une eau, non ? Je pouvais emmener l'eau bénite de l'église mais je me voyais mal la siphonner sous les regards de tous, on m'aurait cramé directe. Enfin... peut-être n'auraient-ils pas soupçonné l'invocation démoniaque, mais ils se seraient doutés de quelque chose. J'ai l'impression que je vais ouvrir les portes de l'Enfer, c'est terrible... Alors que je vais simplement invoquer un pauvre petit Démon qui a très probablement tué plusieurs personnes, à ne pas en douter, en plus d'usurper l'identité des gens. Mais bon, ce dernier détail ne semble pas trop l'empêcher de dormir sur ses deux oreilles, pas plus que ses meurtres, d'ailleurs. Quel horrible Démon ! Je rigole. « Horrible Démon » est un pléonasme, malgré le fait que l'un d'entre eux détienne le titre d' « adorable enfant tout mignon et innocent » dans mon classement démoniaque.

Je repose la bouteille par terre, estimant que j'ai suffisamment insufflé de paroles pures pour une eau de source. J'ouvre donc le sac de sel et commence à tracer un cercle en suivant celui central qui marque déjà le terrain de basket. Je dispose ensuite les 6 bougies autour de mon beau cercle avant de les allumer une par une. Suivant les conseils — qui me semblent avisés — du type sur le forum, je m'éloigne de plusieurs mètres avec ma bouteille et ma croix dont le métal se réchauffe au contact de ma peau.

Je prends une grande inspiration, ouvre la bouteille dans le doute d'une attaque ingérable, et l'appelle :

– Satan, Satan, Satan.

Par pitié, que personne ne filme ça... Si quelqu'un passait par là, il appellerait immédiatement la police. Mais pour le moment personne ne débarque pour me cataloguer « sataniste », alors j'attends... J'attends de longues secondes que celles-ci passent.

Tout ça, c'est ridicule !

Alors que j'allais jeter la bouteille par terre, un vent chaud et soufré vient caresser mes cheveux. J'agrippe un peu plus mes objets bénis par mes soins, prête à balancer une gerbe d'eau au moindre faux mouvement du Démon. Une silhouette naît d'une fumée noire provenant du sol goudronné, prenant petit à petit forme. D'abord des rangers noires, puis un jean bleu délavé, puis un blouson recouvrant un t-shirt bordeaux, et enfin... des yeux verts brillant d'un éclat de malice et des cheveux d'un brun si sombre que leur couleur réelle est uniquement dévoilée par les rayons du soleil. Le Démon époussette ses épaulettes, se débarrassant des derniers souffles de fumée noire, avant d'ébouriffer énergiquement ses cheveux, le gaz obscur se dissolvant immédiatement avec l'air ambiant. Lorsque ses yeux pétillants rencontrent les miens, je pousse un grognement agacé.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant