Tout ce que je vois ce sont des cheveux ébène, pourtant j'essaie de me hisser sur la pointe des pieds afin d'entrevoir un rayon de ce qui se prépare en bas. Dommage pour moi, la fillette qui me fait dos a toujours été plus grande.
- Mais heu, Victoire, laisse-moi voir aussi ! me plaignis-je auprès de la fillette.
- Après.
- Tu l'as déjà dit y'a 5 minutes... et je vois toujours rien !
- Ce que tu peux être impatiente...
Et c'est elle qui dit ça alors qu'elle a la tête fourrée dans l'entrebâillement de la porte depuis au moins 1 heure.
Avec un petit rire, la jeune fille se recule enfin. Je me précipite dans le faisceau de lumière pour observer attentivement ce qu'il se prépare au rez-de-chaussée. Malheureusement, je déchante très vite. En contrebas, je n'aperçois que des robes danser, des plats passer, et des personnes s'exciter.
- Alors ? Qu'est-ce qui se passe ? me demande Victoire avec empressement.
- Rien du tout.
Derrière moi, je sens la fillette se hisser par-dessus mon épaule pour tenter d'apercevoir quelque chose. Puis soudain, ma main lâche le chambranle et je m'étale par terre dans un gros « boum ». En bas, l'agitation cesse brusquement, et je croise le regard bleu de maman. L'angoisse monte en moi, nous devions rester dans notre chambre jusqu'à ce qu'on nous appelle. Mais mon coeur ralentit ses battements erratiques lorsque maman nous sourit chaleureusement, une pile d'assiettes colorées dans les mains.
- Vous pouvez descendre, mes enfants, nous annonça-t-elle de sa voix bienveillante.
Derrière moi, Victoire crie de joie et passe devant ma tête pour dévaler les escaliers. Je m'empresse de me relever et de descendre aussi vite que mes petites jambes me le permettent. Aussitôt au pied des marches, maman nous guide vers le jardin derrière notre maison. Elle nous ouvre la porte, et—
- Bon anniversaire !!!
Des confettis volent dans tous les sens, des ballons décorent chacun des arbres, et tout le monde rayonne de couleurs. Tantine est la première à venir nous prendre dans ses bras, contre sa jolie robe jaune à fleurs.
- Oh mes amours, bon anniversaire à vous deux.
Simultanément, Victoire et moi lui embrassons la joue. Ses pommettes aussi rebondies qu'elle, rougissent, mises en valeur par son carré plongeant couleur ébène. Elle pose amoureusement ses lèvres sur nos fronts, puis papa arrive à son tour pour nous prendre dans ses bras.
- Bon anniversaire, mes puces.
- Ce n'est pas tout, mais nous avons deux anniversaires à fêter, rappela maman.
- Tu as raison, Marie, il serait dommage de rater le gâteau.
- Y'a un gâteau ?! m'exclamais-je avec excitation.
- Même deux, répondit papa.
Ce dernier embrasse le bout de mon nez et déplie son grand corps pour s'avancer vers la table en bois sur laquelle est déposée une belle nappe colorée, mais surtout: les gâteaux.
Je prends place entre Victoire et Tantine, en face de maman et papa. Ainsi, j'ai l'impression d'être face à des répliques d'âges différents. Victoire, maman, et Tantine se ressemblent toutes les trois, mêmes cheveux et mêmes yeux. A se demander quel train j'ai raté, car après tout, c'est moi qui suis censée être la jumelle. Bon, après vous me direz qu'il n'y a pas tant de différences entre des cheveux ébène et des cheveux châtains, tout comme il y en a très peu entre des yeux bleus et des yeux verts. Non ? Vous ne diriez pas ça ? Bon... tant pis alors. Au moins vous ne pourrez me retirer le fait que mes yeux sont de ma fabrique, car après tout, mon père les a bruns. En fait, sur toute la tablée il est celui qui me ressemble le plus, mais détrompez-vous, je suis bel et bien une fille, qu'on soit d'accord.
- Christian, à toi l'honneur, proposa maman.
Papa se munit d'un briquet et commence à enflammer les mèches des bougies se trouvant sur les deux gâteaux qui me font déjà saliver. L'un est au chocolat et recouvert de glaçage, tandis que l'autre est décoré de tant de fraises qu'on ne voit même pas la couleur du gâteau. Une fois les 20 bougies allumées, 10 pour chacune de nous (parce que je n'ai pas 20 ans, qu'on se comprenne bien), tout le monde nous regarde avec un large sourire.
Victoire et moi prenons une grande inspiration, et soufflons toutes les deux dix bougies, moi celles sur le gâteau au chocolat. Une petite fumée grise s'élève dans l'air au même moment que notre famille applaudit.
- Bon anniversaire !
Papa entame aussitôt la découpe du gâteau. Victoire se sert une part de gâteau à la fraise, tandis que moi, je ne me prive de rien et prends une part de chaque.
- On ne fête pas ça un peu en avance pour toi, Angèle ? demanda Tantine.
- On pourra le refaire demain, avec encore du gâteaux.
Chaque année, j'y ai le droit. Et pour cause, je suis née le 7 juin 2006, tandis que ma jumelle est née quelques heures avant moi: le 6 juin 2006.
Alors que je plante ma cuillère dans mon bout de gâteau, Tantine pose sa main sur mon avant-bras et me regarde avec tendresse.
- Tu n'oublies pas quelque chose, Angèle ?
Je repose lentement ma cuillère sur le bord de l'assiette, un peu dégoutée de devoir attendre pour dévorer ces appétissantes merveilles. Cependant, comme toute la tablée, je prends la croix autour de mon cou et l'enserre de mes mains. Maman prend alors la parole:
- Merci pour ce jour de fête et ce repas. Puisse ces remerciements vous parvenir avec tout l'amour que nous vous portons et toute la fidélité que nous vous témoignons. Tous nos respects à vous, Seigneur.
Enfin ! Je m'empresse de couper un morceau de ma part de gâteau pour l'engouffrer dans ma bouche. Le goût du cacao et du glaçage me ferait presque pousser des ailes. Victoire, elle, est plus discrète, elle l'a toujours été d'ailleurs.
- Ché chuper bon ! tentai-je d'articuler en mâchant mon bout de gâteau.
- On ne parle pas la bouche pleine, trésor, m'avertit gentiment papa.
Je finis de déglutir et lève en l'air ma petite cuillère encore couverte de gâteau.
- C'est super bon !
Maman me sourit en reposant délicatement sa fourchette. Puis elle entoure de ses doigts la croix qu'elle porte autour du cou, et pose un regard chaleureux sur ma jumelle.
- Et toi, Victoire, tu aimes bien ?
- Oui, beaucoup.
C'est alors que Tantine se racle la gorge. Nous tournons tous la tête vers elle, attentifs.
- J'aimerais lire ce joli passage que j'ai trouvé ce matin dans un texte sacré. Je trouve qu'il saura guider nos deux merveilles pour qui c'est l'anniversaire.
Tantine prend son petit sac à main accroché à la chaise, et en sort un tout petit livre à la couverture verte. Elle le feuillette un instant, puis s'arrête sur une page. Elle s'éclaircit la voix, captant l'attention de tout le monde.
- Mon enfant, ne m'oublie pas. La vie peut te sembler dure et semée d'embuches, mais ne m'oublie pas, car moi je ne t'oublierais jamais. Je t'ai vu grandir, je t'ai vu progresser, je t'ai vu t'élever aux côtés des tiens. Alors je veux te le dire, je dois te le dire: je suis fier de toi. Malgré les doutes, malgré les craintes, malgré les tentations, tu as su rester humble, tu as su rester sage, mais tu as surtout su m'entendre et m'écouter. Je t'ai guidé, et je te guiderai toujours, alors ne m'oublie pas. Tout au long de ta vie, tu verras ceux que l'on appelle Orgueil, Avarice, Envie, Colère, Luxure, Paraisse, et Gourmandise. Mais tu n'y céderas pas car tu écouteras ma voix, je te guiderai. Je serai là, tu t'en sortiras. Toutefois... si un jour, il t'en vient à croiser son chemin, ne le regarde pas. Si un jour, il t'en vient à entendre sa voix, ne l'écoute pas. Si un jour, il t'en vient à sentir son odeur, ne la respire pas. Mais tant que tu ne m'oublies pas, je serais là, et je t'aiderais à surmonter les obstacles que tu rencontreras. Je ne t'oublie pas, mon enfant. Appelle-moi, et je viendrais.
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De l'Autre Côté
Paranormal« Vous connaissez l'expression « être une grenouille de bénitier » ? Eh bien je peux vous assurer que tous les membres de ma famille sont des batraciens. Par là j'entends : croix en folie et messes à gogo. Ma famille est si religieuse que Satan lui...