Chapitre 3: Haut en couleur

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Maman est la première à entrer dans l'enceinte de l'église, toute vêtue de noir, suivie de près par papa, lui aussi habillé dans le même ton. Ma soeur adresse quelques murmures à Dieu, puis entre à son tour. Quant à moi, je reste un instant à l'extérieur, contemplant la façade en pierre.

Si je vous dis que je n'ai jamais vraiment aimé les églises, vous allez me prendre pour une folle ? Après tout, il y a de quoi avec une famille aussi croyante que la nôtre. Mais... Je ne sais pas, une ambiance étrange flotte toujours dans les églises. Elle n'est ni désagréable ni agréable, mais elle nous laisse un gout pâteux dans la bouche. Peut-être est-ce à cause de son surnom: « la maison de Dieu ». On entre chez cette personne comme dans un moulin, et on y prie à longueur de journée. Il y a de quoi empêcher le Grand Patron de dormir paisiblement... Alors peut-être est-ce de l'empathie, mais je m'imagine à sa place. Rien qu'avec mon don, qui est par ailleurs associé à lui selon la croyance, je suis dérangée bien trop régulièrement à mon goût. Donc imaginer se faire supplier ou injurier toutes les secondes... ça ne doit pas être agréable tous les jours. Comprenez donc ma réticence à entrer chez cette personne.

Je passe les deux grandes portes en bois, et trempe mes doigts dans l'eau bénite avant de dessiner une croix sur moi-même. Puis je pars me placer aux côtés de ma soeur, qui se trouve près de nos parents. Papa a un bras autour de maman qui tente de réprimer ses sanglots, pendant que le prêtre prêche la parole de Dieu. Quant à Victoire, elle est repliée sur elle-même, couvrant ses pleurs de ses mains. Pour ma part, je me tiens droite contre le banc en bois, et admire les vitraux. Je ne suis pas insensible, loin de là, mais comprenez que je vois la mort bien trop de fois pour la pleurer. Tout ce truc sur l'Enfer et le Paradis, pour moi ce n'est pas que du bla-bla, je sais que nous irons tous là-bas. Par chance, nous sommes de bons croyants, et n'irons, par conséquence, pas brûler en Enfer.

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La lumière filtre joliment à travers les vitraux, renvoyant des formes indistinctes sur le sol en pierre de l'église. Cette dernière est aussi jolie que les vitraux avec ses bancs en bois vernis et ses grandes voutes. Mais tout de même, j'ai un faible pour ces morceaux de verre colorés. De loin, ils  semblent complètement abstraits, mais lorsqu'on s'y intéresse de plus près, on découvre tout un monde. Une histoire est racontée, une histoire nous encercle, celle de notre vie.

Tout en haut, une vive lumière se lève sur des champs de blé, contrastant avec la rougeur des bas fonds de l'Enfer. Dans cet Enfer, on y voit un monstre cornu et dont la peau est complètement rougie par les flammes. Cette personne, c'est le Diable, il subit la lumière et le bonté de Dieu qui n'a aucune image. La légende raconte que Dieu n'a pas de visage car Dieu n'est personne et tout le monde à la fois. Mais bon, vous savez ce qu'on dit ? Dieu est omniscient, omniprésent, et omnipotent. Un être si puissant et pourtant si timide... C'est vrai après tout, personne ne l'a jamais vu. Tout comme le Diable, vous me direz. Bon, d'un côté c'est bon signe de ne pas voir ce bougre. Parce que je ne sais pas vous, mais l'Enfer n'est pas trop vendeur, alors je ne tiens pas à y mettre les pieds de si tôt, ni jamais d'ailleurs.

Les vitraux latéraux, quant à eux, sont recouverts d'Anges et de Démons, tantôt se battant et tantôt vaguant à leur univers respectif. Les Anges ont de belles ailes qui se dressent dans leur dos, tandis que les Démons ne sont que de vilaines créatures défigurée par la haine.

Puis... il y a ce vitrail, celui au-dessus des deux grandes portes en bois. Il représente une femme et ses deux enfants. Mais une scène horrible se déroule. Un homme derrière pointe d'un doigt accusateur la femme, pendant que l'un des enfants est attiré par les mains brûlées des Démons, et que l'autre est accueilli à bras ouverts chez les Anges. Sur le vitrail juste en dessous, la femme est agenouillée et pleure, les mains cachant son visage. Quand à l'homme, il lui tourne dès à présent le dos, semblant s'éloigner de la scène.

Je balaye les fidèles du regard, puis reporte mon attention sur le prête qui se tient derrière son pupitre, les mains posées sur la grosse bible ouverte et la voix portant dans toute l'église:

- Mes enfants, Dieu nous accueille dans cette église. Dieu est généreux envers ceux qui donnent, Dieu est bon avec ceux qui sont bons, et Dieu pardonne à ceux qui doivent être pardonner. Aujourd'hui, nous perdons des proches, mais sachez que tout n'est pas perdu. La mort n'est pas la fin d'une vie, mais le début de la rencontre avec Dieu.

En disant cela, le prêtre adresse un sourire bienveillant à ma mère.

- Ne cessez pas d'avoir la foie, ne quittez pas le chemin de Dieu, car lui, ne vous abandonnera jamais.

A ce moment, Tantine remonte l'allée, sa longue et sombre robe à fleurs volant à chacun de ses pas. Sur ses épaules, elle porte un petit gilet noir qu'elle tient avec ses mains un peu fripées. Elle vient se placer à côté de moi, et baisse immédiatement la tête devant un Jésus crucifié derrière le prêtre. Tout en remuant les lèvres, elle prend sa croix dans ses mains et murmure sa prière.

- Que le Seigneur l'accompagne, que le Seigneur la guide. Que le Seigneur nous protège, nous et les autres. Tout pêcheur peut être pardonné, tout enfant doit être guidé. Puisse votre grâce nous toucher... Seigneur.

Je tourne la tête de l'autre côté, et vois mes parents répéter des paroles que je ne parviens pas à saisir, mais vu le sérieux qu'ils y mettent, cela ne laisse pas beaucoup de doutes quant à leur destinataire.

Vous voyez... quand je vous disais que ma famille était très religieuse, je ne disais pas ça pour rire, elle l'est vraiment. Dieu par-ci, Seigneur par-là. Avec eux, l'honneur du Grand Barbu est sauve.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant