Chapitre 34 : Pas toi non plus...

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Madame Richard se désintéresse de sa machine à sous pour venir chuchoter à l'oreille de son mari :

- Tu devrais aller la voir, elle est en train de se faire une place, et solide qui plus est. Joue avec elle, attire son attention, mais essaie de te la mettre dans la poche.

Comme un pantin, papi se dirige d'un pas assuré vers la table de poker, suivi par Thomas et Lidia. Quant à moi, je reste figée jusqu'à ce que Madame Richard pose sa main sur mon épaule pour discrètement y enfoncer ses ongles, me tirant de mon tourment interne. Sa voix vient alors murmurer près de moi :

- Tache de bien te comporter, petite sotte. Autrement tu n'auras pas affaire à mon mari mais à moi. Et je t'assure que tu ne veux pas que ça soit le cas.

Sur ce, elle me pousse en avant et je me mets en marche pour rejoindre papi, Thomas, et Lidia, mais surtout pour rencontrer cette femme. Cette dernière s'est rassise, mais se dandine sur sa chaise, toute heureuse, pendant que ses adversaires fulminent et que le croupier distribue les cartes. Et... plus je m'approche, plus je les remarques ; ces jeunes hommes qui l'entourent. Vous vous demandez surement pourquoi je leur accorde une attention particulière, eh bien c'est simple : ces énergumènes sont à moitié nus. Ils ne portent qu'un pantalon noir, des chaussures cirées toutes aussi sombres, et une cravate bordeaux. Néanmoins, ces garçons ne représente rien à côté de la femme qui se tient en leur centre, son sourire remontant jusqu'à ses yeux bleus. Cette dernière appuie ses avant-bras sur la table de jeu, exposant un collier brillant de mille éclats ainsi que son décolleté plongeant à la vue de ses adversaires qui ne lâchent pas l'affaire. Comment ?

Papi Richard s'approche du jeu, contournant les jeunes hommes qui se montrent bien tactiles avec cette femme à la robe à fleurs, puis s'assoit à ses côtés. Thomas et Lidia se placent en retrait, leurs mains croisées devant eux et le regard perdu dans le vague, tandis que je m'arrête quelques mètres avant.

- Vous vous joignez à nous, mon cher monsieur ? chantonna la femme.

- Avec plaisir. Monsieur Richard, se présenta-t-il en lui tendant sa main. Enchanté.

- De même.

La femme lui sourit sans se présenter à son tour, mais serre tout de même sa main. Elle saisit un paquet de cigarettes et en propose à papi qui accepte rapidement. Elle l'allume à l'aide du briquet posé sur le rebord en bois, puis commence à la fumer avant de regarder les cartes que le croupier vient de lui distribuer. Au même moment, un des types nus (ou presque) dépose un cocktail rouge à côté de la femme, avant qu'elle se mette à le siroter tranquillement.

Je prends une profonde inspiration, ignorant la partie de poker qui se déroule avec le plus grand sérieux de la part des joueurs, et m'avance vers la femme si familière mais qui me parait pourtant si étrangère.

- Tan... Tantine ? bégayai-je minablement.

La femme s'arrête soudainement dans son entrain, sa cigarette suspendue devant ses lèvres. D'un mouvement lent, elle tourne la tête vers moi. Je sens les regards de la tablée se braquer sur moi, mais seul le sien m'intéresse. Elle me dévisage, complètement livide. Avec parcimonie, elle dépose sa cigarette entamée dans un cendrier déjà à moitié rempli, et se lève afin de s'avancer vers moi. Mon corps refuse de bouger, complètement figé par mes sentiments. Non, c'est impossible, ça ne peut pas être elle. Et pourtant... lorsqu'elle pose sa tendre main sur ma joue, c'est bien elle, c'est bien la sienne ; celle de Tantine. Les larmes me montent aux yeux, puis glissent silencieusement sur mes joues. La tristesse traverse aussi le regard de ma tante, mais je la surprends en train de cacher sa faiblesse.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant