Chapitre 72 : Dilemme

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Face à la scène, je recule malgré moi et percute une canette par inadvertance. Le bruit métallique résonne dans la ruelle sombre. Marrow relève alors la tête en direction de Madame Poubelle. Cette fois, c'est à mon tour de me figer tandis que ses yeux avides scrutent les alentours.

Je retiens mon souffle, les membres aussi lourds et solides que du béton, tandis que mon regard ne peut quitter le sien qui fait courir un désagréable frisson le long mon échine. Il relâche soudainement la jeune femme sanglotant autant qu'elle tremble, et celle-ci tombe sur le sol souillé de la ruelle. Au moins, il l'a laissé tranquille... mais je consiste en sa prochaine cible, à part s'il m'a prise pour un rat. Y'a-t-il des rats en Enfer ? La question des rongeurs me sort de la tête aussitôt que le pied du sale type rencontre violemment le visage déjà tuméfié de sa victime. Elle s'effondre, face contre terre. Je porte immédiatement mes mains à ma bouche pour retenir un hoquet d'effroi, mais Marrow visse son regard sur l'espace entre Madame Poubelle et le mur. Deux choix s'offrent à moi : courir ou rester ici en sachant qu'il s'avance déjà vers ma cachette. Je choisis la première option et fais volte-face pour me précipiter dans la chaufferie. Les canettes s'entrechoquent et le verre craque, mais je ne peux pas dire si c'est de mon fait ou celui de mon nouveau poursuivant. Je m'engouffre sous un tuyau en évitant de le toucher, sentant suffisamment sa chaleur se diffuser à travers le métal pour ne pas avoir envie de m'y coller. Et alors que j'aperçois un passage vers la rue parallèle emplie d'animation, une main me saisit brutalement par la cheville et me tire. Je chute douloureusement au sol, avant que mes paumes ne le raclent et qu'on me tourne brusquement sur le dos pour m'y maintenir. Assis sur mes hanches et tenant fermement mes poignets, Marrow me fusille du regard. Malgré ma restriction de mouvements, je tente de m'échapper de sa prise. Néanmoins, le qualificatif « Démon » s'impose inéluctablement à moi. Je ne peux pas m'en sortir ainsi.

– T'es nouvelle ?

– Pas du tout, je suis venue chercher quelque chose pour mon Maître, inventai-je.

– Ici ? Ça m'étonnerait.

– Eh bien, ne vous étonnez pas car c'est la vérité. Et il sera furieux contre vous si vous ne me laissez par partir.

– Qui est ton Maître ?

– Monsieur Richard.

A ma réponse, Marrow éclat d'un rire franc. Peut-être n'ai-je pas choisi le bon Démon... La famille Richard est en déclin mais je ne pensais pas qu'elle était si peu respectée, même par les Démons du genre de ce type.

– Je suis sûr qu'il ne verra pas d'inconvénients à ce que je te garde un peu, dit-il avec amusement.

Sur ce, Marrow me soulève sans ménagement pour m'emmener hors de la ruelle, délaissant la jeune femme dans ses lambeaux de satin rouge. Je tente bien de m'extraire de son emprise, mais c'est peine perdue.

– Arrête un peu de gesticuler et dis-moi plutôt ton prénom.

– Allez vous faire voir !

– Très bien, je t'appellerai... Sonia ! s'exclama-t-il avec un enthousiasme enfantin, faisant abstraction de mon énervement.

Ce type me fait descendre le boulevard, ou plutôt me traîne, jusqu'à un impressionnant immeuble en verre. Je ne m'attarde pas plus sur le lieu et lui colle mon poing au visage avant qu'il ne me fasse traverser les portes tambours. Il fronce les sourcils comme si mon coup n'était qu'une pichenette, puis attrape mes poignets pour les contraindre à rester dans mon dos. Me faisant maintenant pousser par mes propres poings, je me retrouve sans moyen de me défendre si ce n'est me rouler en boule par terre. Mais je ne suis même pas sûre de réussir à me libérer ainsi, et encore moins à ce que les Démons alentours m'accordent la moindre attention, si ce n'est pour se moquer de ma situation.

Nous entrons dans le spacieux hall d'accueil et nous dirigeons immédiatement vers les portes d'un ascenseur. En chemin, les Démons me jettent des regards amusés ou assoiffés d'un plaisir charnel. Je vous avoue que je suis très mal à l'aise. Je pensais que mon voyage en Enfer se passerait mieux que la première fois maintenant que j'étais avertie, mais il semblerait que je refasse les mêmes erreurs. Néanmoins, l'Enfer est-il pire que Gabriel ? Ça reste à voir...

Après un « ding » caractéristique, nous arrivons dans un sublime appartement pas du tout à l'image du type qui me tient toujours avec fermeté. Néanmoins, à l'inverse du superflu de l'Enfer, ici, rien ne semble de trop. Des meubles d'utilité basique, mais dont le luxe est inversement proportionnel à leur nombre, décorent sobrement la pièce.

Je suis soudainement poussée dans un canapé sur lequel je m'empresse de me retourner dans l'optique de rendre la pareille à mon bourreau. Mais alors que je m'apprête à me relever, ce dernier me repousse contre le dossier moelleux, son regard sérieux fixant le mien.

– Ne bouge pas, m'ordonna-t-il. De toute manière, tu ne pourras ni t'enfuir ni t'en prendre à moi, alors reste tranquille.

Pour toute réponse, je m'extirpe du canapé d'un bond. Malheureusement, Marrow m'y recolle à la même vitesse avant de soupirer d'un air faussement las.

– Je déteste contraindre les dames...

Sur ce, il pose une main sur mon épaule qu'il presse contre le canapé. Je fronce les sourcils et avant que je n'ai pu lui demander ce qu'il fait, mon corps entier se paralyse. Mes muscles ne répondent plus, comme pris dans la glace. Je tente de lutter contre ce mauvais sort, mais plus je m'efforce, plus ma paralysie étouffe mes membres.

– Je vais te chercher de quoi t'habiller.

Le voilà qu'il me laisse ainsi, figée sur ce foutu canapé. Je tente de hurler ma rage, mais ma voix refuse d'obtempérer. Cette situation est une des plus frustrantes qu'il m'ait été donné de vivre... Et d'ailleurs, où sont mes vacances ? Je voulais simplement me reposer, prendre du recul sur la situation et retrouver ma famille, mais à la place, je finis coincée dans l'appartement d'un type débraillé et dont il doit certainement manquer pas mal de cases, tout comme la majorité des Démons.

C'est alors que Marrow revient avec une robe en main, tandis qu'il est toujours vêtu de ses habits trop grands, sales et déchirés.

– Je pense qu'elle tira, dit-il en s'avançant vers moi. Habille-toi.

De l'Autre CôtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant