Les cheveux ébène de maman retombent sur son visage, comme pour dissimuler la honte naissant dans son regard.
- Que se passe-t-il, Marie ? demanda mon père qui semble partager sa peine.
- Je... Je le regrette vraiment. Chaque jour je fais tout pour que le Seigneur me pardonne, mais il semble vouloir continuer à me punir pour ma faute. Angèle, dit solennellement ma mère en plantant son regard dans le mien, ta soeur n'est pas exactement celle que l'on croit. Depuis votre grossesse j'essaie de me le cacher, mais Dieu semble m'en vouloir. Le jour de sa naissance n'est pas anodin...
- Je ne comprends pas... Victoire est bien née un jour avant moi, le 6 juin 2006 n'est-ce pas ?
- Oui, et Dieu en a décidé ainsi pour me punir, pour que chaque année je me souvienne de ma faute.
- Je suis confus, Marie, de quoi parles-tu ?
- Je... Je t'ai trompé, Christian. Victoire n'est pas ta fille.
Mon père ouvre la bouche comme un poisson, tandis que j'écarquille les yeux. Ça pour une nouvelle, s'en est une...
- Lorsque Dieu m'a envoyé ce message à travers la naissance de Victoire, je suis aussitôt allée voir un prêtre pour me repentir. Malheureusement il m'a dit que cela pouvait arriver, et lorsque les jumeaux ne sont pas du même père, l'un est qualifié de « maléfique ». Victoire... Victoire n'a pas rejoint le Paradis, Angèle.
A ce moment, ma mère fond en larmes, couvrant immédiatement son visage de ses mains. Attendez attendez, pas si vite. Est-ce que ça voudrait dire que Victoire est en quelque sorte ma « demi-jumelle » ? Et comment Le Monsieur Là-Haut se permet-il de refuser ainsi ma soeur ? Il va m'entendre aussi celui-là, personne âgée ou pas je ne vais pas le laisser s'en sortir comme ça.
- Marie...
Malgré ses sourcils froncés par l'empathie, la blessure de la trahison perce la voix de papa. J'emporte alors ma tartine avec moi pour ne pas être de trop, et quitte la maison, toujours aussi déterminée à retrouver ma jumelle, peu importe où elle se trouve. Je marche d'un pas décidé vers l'orphelinat, réfléchissant à tout ce que cela signifie.
L'une de nous est maléfique, et le fait que Victoire soit née le 6 juin 2006 fait d'elle l'enfant de cet inconnu. A cause de l'infidélité de maman, Victoire est destinée à l'Enfer. Alors que moi... étant née de Christian Roy, mari de Marie Roy, on me garde une place au Paradis ? Mais c'est complètement scandaleux ! Victoire ne mérite pas l'Enfer, elle n'a jamais rien fait de mal, elle était la perfection incarnée (en tout objectivité, bien sûr). Tout ça pour dire que y'en a marre de ces bêtises ! Je vais ramener Victoire ici, coûte que coûte, et que Satan et le Grand Papi aillent se faire voir si ça ne leur convient pas.
~~~~~†~~~~~
Je pousse les lourdes portes de l'orphelinat, armée de ma boîte venant fraîchement de la pâtisserie du coin.
- Angèle !!
Aussitôt, une fillette aux boucles blondes se précipite vers moi pour me sauter à la jambe. J'ébouriffe ses cheveux en souriant, puis m'avance dans le salon où quasiment tout le monde s'y trouve.
- T'as ramené quoi ?!
C'est presque si Eve me grimpe dessus comme un petit singe, alors je dépose la boîte sur la table basse.
- Non non, attends avant de te goinfrer.
Eve boude, les bras croisés sur son petit corps d'enfant de huit ans. Avec un sourire, j'ouvre la boîte en carton, dévoilant une vingtaine de cookies aux pépites de chocolat. Eve s'empresse d'en prendre deux, et commence à s'éloigner à grands pas.
- Eve... l'avertis-je d'une voix traînante.
Elle s'arrête et se retourne lentement vers moi, un sourire innocent collé sur le visage.
- Va donner le deuxième cookie à Jack, je te regarde.
Après plusieurs secondes à réfléchir sur « faut-il m'écouter ou non », Eve se décider enfin à aller voir l'un des plus grands de l'orphelinat afin de lui tendre son cookie, non sans un dernier regard pour son précieux trésor. Une fois cela fait, elle se tourne vers moi et je lui souris de toutes mes dents.
Les enfants se servent tous un à un, tandis que je m'approche de Marlène, assise dans un fauteuil avec un nouveau petit garçon sur les jambes. La vieille femme a beau être tirée par l'âge, elle ne défaillit jamais dans son travail.
- Bonjour, Marlène.
Elle relève son regard vers moi avec un tendre sourire.
- Bonjour à toi, Angèle. Je t'écoute, que veux-tu me demander ?
- Ma jumelle, Victoire... a elle a été tuée par un chauffeur il y a deux jours.
A cette annonce, Marlène ouvre grand les yeux, tandis qu'un silence s'abat sur l'orphelinat.
- Je suis vraiment désolée de l'apprendre, j'espère qu'elle n'a pas souffert.
- Non, elle est morte sur le coup. Mais... j'aimerais bien prendre quelques jours de vacances. Evidemment, je comprendrais que—
- Ne t'en fais pas, Angèle, m'interrompit la directrice, tu peux avoir des jours de vacances. Nous saurons nous débrouiller, les grands nous aideront, et toi tu as besoin de prendre du temps pour toi.
- Merci infiniment, Marlène.
- Il n'y a pas de soucis, c'est normal.
Je lui souris du mieux possible, avant de m'asseoir sur l'un des fauteuils. Eve vient aussitôt me voir, la bouche encore couverte de miettes de cookies. Elle me regarde avec tristesse mais ne dit rien. Je suis reconnaissante de son silence, car malgré ma détermination pour retrouver Victoire et ma conviction qu'elle n'a pas disparu, reparler de sa mort me peine profondément.
Mais comme pour ne pas me lamenter trop longtemps, mon téléphone sonne. Je le sors de ma poche et lis le message d'Anaïs: « On va se prendre un chocolat chaud ? Je pense qu'on en a besoin. » Alors que j'allais lui répondre que je suis à l'orphelinat, Marlène s'approche de moi et pose sa main sur mon épaule. Je relève la tête vers elle avant de voit la compassion emplir son regard.
- Prends des vacances à partir de maintenant, tout ira bien pour nous, ne t'en fais pas.
- Merci beaucoup, Marlène.
Je lui souris et m'empresse d'accepter la proposition d'Anaïs.
- Tu reviens bientôt, hein ?
- Je te le promets, Eve.
Je serre dans mes bras la fillette toute triste, puis lui embrasse affectueusement le front avant de quitter l'orphelinat.
VOUS LISEZ
De l'Autre Côté
Paranormal« Vous connaissez l'expression « être une grenouille de bénitier » ? Eh bien je peux vous assurer que tous les membres de ma famille sont des batraciens. Par là j'entends : croix en folie et messes à gogo. Ma famille est si religieuse que Satan lui...